Avr 042008
 
Siwa, Musee (c) Yves Traynard 2008
Siwa, Musee (c) Yves Traynard 2008

متحف الفنون الشعبية
« On peut soutenir que l’objectivation des ethnies par l’immémorialité constitue une forme d’appropriation symbolique. »

Tourisme ethnique : une reconquête symbolique ?

Nicolas Bancel in Culture post-coloniale 1961-2006,
Pascal Blanchard et Nicolas Bancel (dir.)
Le musée d’art et tradition populaire du village a été baptisé la Maison siwi. Il est bien fait, au sens où il y a de belles vitrines, de beaux objets et de beaux commentaires, disposés dans le cadre d’une maison traditionnelle bien entretenue. Rien ne manque à cet exercice de style qui s’évertue à Siwa, à Sumatra et dans bien des villages savoyards (!) à présenter les bijoux, les cérémonies de mariage, la vaisselle, les pièces de réception et de cuisine et les outils des peuples du monde entier. Le grand défaut de ce genre de reconstitution c’est d’être anhistorique et basée sur le mythe d’un âge d’or, en induisant la confusion entre société traditionnelle (sous-entendu archaïque, éternelle, originelle, immémorielle) et société historique (c’est à dire datée) la seule qui ait une existence réelle. De quelle tradition parle-t-on dans ces musées ? Ce qu’on trouve dans les vitrines remonte à l’avènement du plastique et de l’électricité. Pourtant il est clair qu’à Siwa les traditions n’avaient rien à voir entre l’époque d’Alexandre, celle du XIIIe s, du XVIIe s et du milieu du XXe s. Curieux distinguos : aux sociétés historiques, les musées d’archéologie ou d’histoire avec parcours chronologique ; aux sociétés « pré-électriques », le musée du folklore ; et aux sociétés contemporaines, rien du tout, ç’est pas au programme (touristique s’entend). Les sociétés « traditionnelles » se trouvent déniées de tout processus d’évolution historique. Dans ces temples du savoir, l’organisation, les rapports sociaux sont circonscrits aux évènements quotidiens ou festifs (cuisson du pain, récolte, mariage, fête patronale…), comme si ces sociétés étaient tellement bien rodées et parfaites qu’elles ignoraient les tensions, les transformations. Pourtant même à Siwa on apprend entre les lignes que des clans guerroyaient, que des connexions existaient avec les Senoussis de Libye, que les ouvriers agricoles (les fameux esclaves célibataires « zaggalah ») auraient gagnés vers le XVIIe s. un droit de regard sur la gestion des oasis. Comment s’est fait cette véritable révolution sociale ? Mystère. Dans quel état est la société « plastique-électrique » siwi aujourd’hui, le musée n’en dit rien non plus. Que sont devenus les esclaves ? Ont-ils fondé une tribu distincte, comment se positionnent-ils dans l’échelle sociale ? Qui sont le gens importants à Siwa aujourd’hui, à qui appartient l’oasis, comment se transmet le patrimoine matériel et immatériel, qui tient le commerce ? Vit-on mieux ici que dans le Delta du Nil ? Combien gagne une famille ? Que peut-elle envisager avec ces revenus pour elle, ses enfants ? Quel avenir pour l’oasis ? Comment s’insère-t-elle dans le commerce national voire international ? Quelle est l’histoire du tourisme siwi ? Comment se superposent les structures traditionnelles et étatiques, les solidarités ? Voici quelques-unes des questions auxquelles devrait répondre un tourisme du réel pour qu’un pays du Sud développe une consistance dans l’imaginaire du Nord qui ne soit pas cantonnée à un orientalisme décrépi.


La maison de Siwa, Musée d’art et traditions populaires.
البيت السيوى- متحف الفنون الشعبية
Siwa. Entrée 0,5 €.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « La maison siwi – البيت السيوى ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/04/la-maison-siwi-%d8%a7%d9%84%d8%a8%d9%8a%d8%aa-%d8%a7%d9%84%d8%b3%d9%8a%d9%88%d9%89/>

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