Avr 302011
 

En voyage, l’improvisation comporte ses bonheurs et son lot de contretemps. Pris d’assaut par les travailleurs en liberté surveillée pour quelques jours, les trains pour Pékin sont complets, lundi comme mardi. Je vais devoir rentrer un jour plus tôt que prévu de Qingdao pour enseigner à l’université mardi à 14h30. Le seul train restant arrive dimanche à 23h à Pékin. Je n’ai pas pu assurer le retour Pékin-Baoding, l’archaïque système de réservation chinois ne permettant pas d’acheter le dernier tronçon de mon voyage ailleurs qu’à un guichet de la ligne. Je ferai donc halte à Pékin dimanche soir et lundi, le temps de trouver un billet. Pris d’assaut aussi, l’hôtel où je loge est complet ce soir au même motif de premier mai. J’ai donc déménagé pour la Guantao Strasse au petit matin, dans une nouvelle auberge, ancien consulat danois, où il restait quelques lits(*).
Drame à mon arrivée à la réception. Plus de passeport. Introuvable. Après avoir retourné toutes mes poches, puis mon sac méticuleusement, rien, meyo, wallou, nada. Pas de doute, j’ai égaré mon passeport. J’entrevoie déjà les ennuis : police, enquête, plus de voyages pendant un mois, aller-retour multiples au consulat de France à Pékin, mon permis de travail à refaire, bref mon séjour chinois prend un tour nouveau.
J’en conclue qu’il vaudrait mieux le retrouver, et vite. Ayant parcouru des kilomètres de sentier de douanier ces derniers jours, autant chercher une aiguille d’acuponcteur dans une rizière. Dernière chance, l’hôtel. Égaré dans la chambre, la salle de bains… Même si je ne vois pas trop comment cela aurait pu se produire compte tenu de mon extrême prudence sur les documents officiels. En voyage, on peut tout perdre finalement sans grandes conséquences, sauf ses papiers, ses médicaments, ses lunettes et sa carte bancaire.

Retour à l’auberge et là, cet hôtel ne doit pas être une ancienne chapelle pour rien, se produit le miracle ! La réceptionniste avait gardé mon passeport lors de l’enregistrement plutôt que d’en faire une copie comme cela se pratique partout en Chine, à tel point que je m’étais persuadé qu’elle me l’avait rendu. J’ai pris la chose à la chinoise. Pas d’éclat, sauf de joie. « Merci, c’est vous qui l’aviez, formidable. Vous m’avez épargné de graves ennuis ».
En France tout cela aurait viré à l’explication : « vous vous rendez compte, à cause de votre distraction, si j’avais pris le train, je ne m’en serais aperçu qu’à minuit à Pékin, je n’aurais pas pu me loger », ou bien, « pourquoi ne faites-vous pas une copie immédiatement comme partout », ou encore « vous devriez vérifier au départ du client, noter en rouge sur le reçu de rendre le passeport », etc. Sans compter que cela aurait alimenté les conversations entre voyageurs et les blogs (ok, ça c’est fait !) J’ai adopté une attitude d’évitement radicalement opposée. Ce qui m’a surpris c’est que je n’ai pas ressenti le besoin de me lancer dans pareilles diatribes. Comme quoi une culture peu déteindre assez vite. Et de m’interroger : à quoi servent nos agacements ? De défouloir pour évacuer le stress ? Sont-ils constructifs ? La réceptionniste sera-t-elle plus enclin à réévaluer sa procédure d’enregistement parce que je me serais énervé ? Doit-elle intérioriser mon angoisse pour se remettre en question ? Quand la violence est-elle bénéfique ?
Nous nous sommes quittés bons amis, avec le sourire, et je suis passé à autre chose immédiatement, sans le moindre ressentiment pour le stress et le temps perdu.


Cet autre chose, fut le musée de la brasserie Tsingtao, sans doute malgré elle, l’un des plus intéressants musées d’histoire économique et politique de la Chine.

Il offre en effet un condensé d’un siècle d’histoire chinoise sur un exemple très concret et plutôt ludique. Un vrai cas pratique.
La bière Tsingtao, dont le nom n’est autre qu’une translittération ancienne de Qingdao (merci l’École française d’Extrême-Orient), reste une success story comme on les aime dans les magazines d’affaires. Celle d’une modeste brasserie voulue par des investisseurs anglais et allemands sur une langue de terre arrachée à la Chine en 1897 et qui devient en un siècle la 6e entreprise mondiale du secteur.

Première brasserie installée en Chine, la naissance de l’entreprise en 1903 évoque la présence étrangère, le système de concession, véritable dépeçage des morceaux de choix de l’Empire du milieu et le rôle de la technologie étrangère dans le développement de l’industrie. Le moteur utilisé pour le brassage que l’on montre date de la création de l’usine et est signé Siemens. Cet intérêt du marché local pour la bière interroge aussi le goût chinois pour les produits occidentaux.

L’occupation allemande fut finalement de courte durée. En 1916, les Japonais s’emparent de Qingdao et font main basse sur la brasserie rebaptisée Dai Nippon brewery, moyennant dédommagement à l’ami allemand. La reprise en main par les Chinois en 1912, ne change pas grand chose. La brasserie continue à opérer pour le compte des Japonais sous les marques Tsingtao, Asahi, Kirin.
Difficile de trouver meilleur exemple pour illustrer la toute puissance japonaise en Chine durant cette période.

La seconde guerre mondiale est une période troublée qui voit sans surprise une chute sensible de la production sous le Kuomintang.

En 1949 la brasserie n’échappe pas à la privatisation comme toute l’industrie chinoise et à la mise place d’une économie planifiée, au succès plus que mitigé. La Tsingtao est l’un des rares produits qui continuent de viser l’exportation et retient toute l’attention du PCC. En 1954, la Tsingtao représente, 98 % des exportations chinoises pour 60 millions de dollars. De quoi illustrer a contrario l’extrême fermeture du pays de 1949 à 1978.

L’essor définitif de la brasserie viendra des nouvelles orientations de politique économique édictées à la fin des années 70 qui vont réconcilier la Chine avec l’économie de marché, et avec quel succès ! En 1980, elle importe une ligne de production de canettes métalliques. La même année, l’entrée de capitaux étrangers en joint-venture permettra l’ouverture d’une usine nº 2 qui démarre en 1990, au moment où l’entreprise est privatisée.
A l’époque du grand virage de l’économie chinoise, elle entame un mouvement de concentration avec le rachat d’autres brasseries chinoises dans la droite ligne de ce qui se fait dans le reste du monde. Un seul chiffre traduit le résultat : de 20 000 caisses en 1978 la production passe à 1 200 000 en 1992.

Elle recourt de plus en plus à la publicité et lance la fête de la bière à Qingtao (1991). Son activité s’internationalise. Elle est présente dans plus de 40 pays.

En 1993, elle est la première entreprise chinoise cotée à l’étranger (bourse de Hong Kong). La société Tsingtao fait figure de pionnière dans le mouvement prudent d’internationalisation des entreprises chinoises. L’accent est progressivement mis sur la qualité de la production (norme ISO 200x), la réforme du management, la communication, la responsabilité sociale et environnementale qui révèle la mondialisation des « best practices ».
C’est d’ailleurs une entreprise qui ne souffre pas de déficit d’image, contrairement aux produits chinois en général.

En 2003, pour son centenaire, elle ouvre son musée d’entreprise, comme n’importe quelle société internationale soucieuse de son image. Sa capitalisation n’a que peu souffert de la crise financière. Simple pause dans sa valorisation en 2008 (à hauteur de 260 millions RMB), elle rebondit prodigieusement dès 2009 pour atteindre en 2010 400 millions de RMB.
Une photo de 2009, illustre très bien les liens qui unissent le pouvoir et l’économie en Chine. On y voit le Président de la compagnie, Jin Zhiguo, aux cotés de Wang Qishan, figure clef du PCC.


Le reste du musée est plus technique. Sous nos yeux défilent canettes et bouteilles par milliers en cours de conditionnement sur des chaines quasi entièrement automatisées. Qu’allons-nous faire de toute cette main d’œuvre chinoise ? Le musée ne répond pas à cette question.

Fin de journée aux installations des JO 2008. Qingdao accueillait les épreuves de voile. Le quartier est devenu celui du luxe. Boutiques Cartier, Gucci, Prada, Porshe à chaque bloc. Immeubles grand standing, patinoire dans un mall plus populaire (Sephora, Zara, H&M, Uniqlo, MacDo, KFC). Pas étonnant que le mariage princier fasse la Une des journaux chinois.



(*) Nordic Osheania Hostel
No.28 GuanTao Road, Qingdao.
Tél. +86 (532) 82825198
email: nordicosheania@gmail.com
市北区馆陶路28号青岛. Beau décor, dans un ancien consulat scandinave.
Site www.nordicosheania.com

La mer, enfin !

La mer, enfin !

Qingdao s’est révélée parfaite hôtesse pour ce pont des travailleurs. Un soleil ardent, un vent vivifiant, et un décor plutôt original pour la Chine. Contrairement […]

La greffe a pris

La greffe a pris

J’ai appris à me méfier. En Chine, pour prolonger la magie du printemps, on n’hésite pas à attacher des fleurs en plastique sur de vrais […]

Prénoms à la mode

En complément du cours sur les fêtes, nous avons approfondi la question des prénoms. Contrairement aux Français, les Chinois attachent une grande importance au sens du […]

Pâques à Dingzhou

Pâques à Dingzhou

 Dingzhou (定州) se situe au 3e rang administratif des villes chinoises en tant que district, derrière la ville-préfecture (Baoding, 保定) et la capitale provinciale (Shijiazhuang, […]

Le canal des cultures

Le canal des cultures

En documentant progressivement l’entrée Baoding sur Wikipédia en français, j’en suis venu à m’intéresser à la géographie de la région. En traçant les basiques de […]

Le goût des livres

Le goût des livres

Bien décidé à trouver des documents de première main pour enrichir l’article Baoding de Wikipédia, j’ai passé une après-midi tranquille à la librairie Xinhua de […]