Avr 162011
 

Aujourd’hui, j’ai décidé de passer le weekend à Shijiazhuang. Shijiazhuang, c’est ma préfecture, ou plutôt ma capitale provinciale, la Chine étant constituée de provinces, non de départements. Capitale, le terme n’a rien de prétentieux, au regard de l’étendue du territoire et de sa population : la superficie de la province du Hebei représente un tiers de celle de la France et compte 70 millions d’habitants.
Capitale donc, mais pour qui ne jure que par Jérusalem, Alexandrie, Athènes, Damas, Rome et Paris, Shijiazhuang semble bien fade. Pas d’imaginaire, pas de vieilles pierres qui raconteraient quelque conte plaisant, pas de mascotte, de culture à exporter qui brillerait au loin, aimanterait, fascinerait. Une ville absente des brochures touristiques, de l’annuaire du monde, sans aucune résonance. Dans notre Occident, qui connait Shijiazhuang l’imprononçable ?
Pourtant, la ville a une histoire, récente certes, mais fulgurante. Née des amours improbables de deux tracés de chemin de fer qui se sont croisées là à l’aube du 20e s., grenier et carrefour agricole progressivement industrialisée grâce à cette providentielle desserte, Shijiazhuang prend véritablement son envol lorsqu’elle est promue capitale du Hebei en 1968. On dit qu’elle lui fut préférée à ma Baoding, capitale historique de la province, trop frondeuse dans la tourmente de la Révolution culturelle. De village de quelques âmes, elle est devenue en un siècle une métropole de deux millions d’habitants, à la tête d’un « État » aussi peuplé que la France.
Pour autant, cette parvenue ne s’offre pas au premier venu. Mauvaise surprise dès mon arrivée à l’hôtel pourtant réservé la veille : il n’est pas ouvert aux étrangers(*). La chambre de l’hôtel mitoyen plus xénophile veut bien de moi, mais pour le prix de dix billets retour à Baoding. Froissé, je décide de rentrer au bercail ce soir. Je boude ouvertement, attitude totalement improductive en Chine. Je me dis qu’avec de tels archaïsmes, Shijiazhuang n’est pas prête de figurer en bonne place dans les guides de voyage, ce dont elle se fout probablement. Pour alourdir ma peine, la découverte de la ville débute par une demi-heure de queue pour dégoter un billet pour le soir. Voilà qui m’apprendra à sortir des sentiers battus. Et dire que j’étais venu avec l’intention de réhabiliter Shijiazhuang !

En une petite journée, que découvre-t-on dans cette ville aussi peuplée que Paris  ? Une gare, surtout une gare, son fond baptismal, son acte de naissance, son épicentre. Elle trône en centre-ville sur une immense esplanade tout à la fois, Cité interdite aux portes infranchissables et Temple du ciel, voie vers un au-delà nomade. Des avenues aussi, immenses et rectilignes, aux noms aussi peu originaux que Zhongshan, Yuhua, Heping ; un parc bien sûr avec son lac, ses ponts bossus, ses violonistes du dimanche venus changer d’air ; une place du peuple où trône un Mao tout blanc entre deux palmiers ; des musées bien vides pour cause de réaménagement, entendez par là reconstruction(**) ; des chantiers extravagants comme ces programmes immobiliers NASA et Erthai sur Zhongshan ; enfin une galerie marchande sous l’avenue Guang’an, baptisée Joy Street, alignement de boutiques souterraines sur un bon kilomètre, en attendant peut-être de tout raser pour y faire rouler un métro. Car on rase facile en Chine, presque gratis, il y a même du souci à se faire pour le patrimoine architectural de l’ère Mao, en particulier l’habitat populaire et même celui des années 80. Quant à celui des années 90, jugé déjà out, on s’active à le relooker par des façades tantôt futuristes, tantôt nostalgiques de l’Empire.
Comme Zhengzhou, sa soeur méridionale, Shijiazhuang donne l’impression d’un vaste chantier qui semble dire au visiteur « en travaux », repassez dans cinq ans, on va essayer de ne pas vous décevoir.

Récit en vidéo.


(*) Hébergement interdit aux étrangers : Utels, face à la gare Centrale.

(**) Au musée provincial, deux expos intéressantes néanmoins : une donation de l’artiste ZhaoGuiDe (赵贵德) qui revisite le rouleau peint calligraphié avec des chevaux en mouvements très réussis ; le produit des fouilles de sauvegarde du futur grand canal qui du Hubei abreuvera Pékin (si j’ai tout compris, les légendes étant exclusivement en chinois).