Fév 182009
 

Nuits de Chine, nuits câlines… nuits mutines ! A 2 h du matin l’horloge biologique a sonné le réveil. Avec l’ire du père soucieux de l’éducation de ses enfants, elle s’emporte : «Qu’est-ce que tu fais encore au lit à 19h, t’es couché depuis midi, c’est quoi cette vie de patachon ?» En pareil cas, la menace ne sert à rien. Le corps peut bien exiger sa part de sommeil, le cerveau refuse l’injonction. Avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure.
Dans mon demi-coma, je pense à tous les «jet-lagués» du monde, expatriés ultra-mobiles, VRP aux avant-postes de la mondialisation, qui vivent ce rythme à longueur d’année. J’en viendrais même à plaindre nos présidents, ministres, personnels diplomatiques avant de me raviser. Un peu de décence. Si quelqu’un est à plaindre parmi les déboussolés du sommeil ce sont plutôt les travailleurs postés qui alternent souvent jusqu’à la retraite, des équipes de nuit, matinée et journée au sacrifice de leur santé et de leur vie de famille sans accéder pour autant au plaisir du voyage et au salaire de ministre.
J’ai profité de cette insomnie passagère pour rédiger les deux premières pages de ce journal chinois postées plus tard d’un cyber, en attendant la connexion internet de mon studio.
Je m’interroge sur ce que ce blog peut et doit contenir. La Chine et mon emploi ici ne changent finalement rien à l’affaire. Je m’en tiendrai à la règle fixée jusqu’à présent. Rien d’intime, rien qui puisse créer un malaise avec ceux que je côtoie et dont je parle même anonymement. Il n’est pas question ici de régler des comptes. Ce sera plutôt l’esprit du temps et des lieux, la vie comme elle va aussi avec, ça peut paraître prétentieux, un minium de rigueur de plume. A chacun sa génération. Je n’ai pas été nourri au tchat et au sms ! Et souvent, quand la vie devient routinière – ce sera vite le cas même ici – des billets approfondis traiteront des préoccupations qui m’animent : développement économique, solidarité internationale, tourisme…

Une fois n’est pas coutume, nous parlerons aujourd’hui pluie et beau temps. La température a chuté et les premiers flocons de l’année sont tombés. Ici on se réjouit. Pékin n’avait pas connue de précipitations depuis une centaine de jours, la plus longue sécheresse enregistrée en 38 ans. Le campus déjà très calme en raison des vacances universitaires est plongé dans un silence troublant. Sous la neige, des ombres glissent, se serrent, emmitouflées, à pied, à vélo. Les visages disparaissent sous les écharpes et l’espace d’une promenade je ne suis plus un étranger.

Bien qu’en congé, un professeur de français est venu interrompre ma retraite ouatée pour me présenter mon emploi du temps des prochains mois avant de m’accompagner gentiment jusqu’au supermarché. Mon studio est en effet meublé, mais sans vaisselle. Des tasses, une assiette, des couverts, des boites hermétiques, quelques yaourts, des gâteaux… voilà pour le minimum vital. Les rayons débordent de victuailles aux emballages bariolés dont l’étranger se demande avec curiosité ce qu’ils peuvent bien contenir. Voilà matière à prolonger le plaisir de la découverte.
La nuit tombée je suis retourné dîner au restaurant Wei Dao près du campus. Il s’y prépare une délicieuse salade à base de fils de pomme de terre frits assaisonnée à la coriandre, à l’oignon, au poivron rouge et autres condiments dont j’ai hâte de percer le mystère(*) . C’est léger, parfumé, copieux et si bon que j’ai renoncé aux trois quarts de mon tofu aux champignons pourtant excellent lui aussi.
Arrivé fort tard dans cette nuit floconneuse la serveuse voulait fermer sa caisse et me faire payer sur-le-champ. Incapable de comprendre son intention elle est partie impatiente, dépitée et maugréant appeler le patron. Tout le personnel qui dînait dans la salle à la fin du service riait aux éclats. Partout l’étranger maladroit provoque ici une attitude que je situerais entre le rire embarrassé et le désarroi.


(*) le plat s’intitule Kai Wei Tu Dou Song (开胃土豆松), quelque chose comme « apéritif à la pomme de terre ».