Fév 172009
 

Minuit à Paris. Le décalage horaire se creuse. Réveil au-dessus de la Sibérie quelque part entre Novossibirsk et Oulan-Bator. Dans l’aube naissante, l’aile du Boeing caresse des montagnes enneigées et immaculées qui s’adoucissent doucement vers l’est où nous filons. Une heure passe. Sur la steppe poudrée des traces ocres dessinent les chevauchées modernes de Mongols motorisés. Quand on vous dit que tout fout le camp ! Une heure encore, nous survolons la Chine. La terre s’assèche et se ravine. Ocre palot d’un sol désolé qu’on sent durci par les rigueurs de l’hiver. A l’approche de Pékin le ciel s’épaissit. Dommage pour la mer de Chine que j’espérais entrevoir. Lorsque au milieu de champs nus et glacés surgissent les toits bleus vifs d’usines cernées d’échangeurs la piste se profile enfin. L’avion se pose en douceur. Nous somnolons.

Une voix annonce -8°C, 10h30. Soudain fébriles, nous pianotons quelques touches et nos électroniques vieillissent de 7h. Nos horloges biologiques, elles, entrent en résistance pour quelques jours. Nos pauvres neurones ne sont adaptés qu’au lent cheminement à pied, aux périples qui racontent les continuités du monde pas ceux qui révèlent brutalement ses fractures. Et pourtant. Si autrefois le dépaysement n’était qu’une conséquence fâcheuse voire redoutée du voyage, le tourisme en a fait son motif. Plus le monde s’uniformise – au moins en apparence – plus le voyageur exige son lot d’exotisme, de costumes chatoyants, de visages différents. On change de saison comme de chemise, on veut l’été à Noël… et des fraises toute l’année.

Au Terminal 3 de Pékin, le voyageur en quête de dépaysement sera déçu. Pas plus de fonctionnaires à nattes, de coolies bagagistes que de douaniers en béret et d’hôtesses en coiffes bretonnes à Paris. Nul improbable authentique mais les formes contemporaines classiques d’un aéroport international qui viserait l’excellence, la modernité et la reconnaissance internationale.

Sous la voûte de la pagode aplanie, seul clin d’œil à la tradition de ce terminal inauguré pour les JO, le passager arpente un univers spacieux, sobre, fonctionnel. Un métro lui épargne même les kilomètres de couloirs impersonnels qu’on lui afflige dans la vieille Europe. Oubliez la ruche bourdonnante de Roissy ou de Heathrow. Ici les avions ne font la queue ni pour décoller, ni pour atterrir, on a vu grand ! Pari sur la croissance, le nouveau terminal de Pékin semble un manifeste technocratique de la Chine de demain.
A l’arrivée, les formalités sont expédiées sur-le-champ. Un curieux boîtier placé sous le guichet vous invite même à donner discrètement votre avis sur le policier qui vous accueille. Les Français, bavards mais pas fort en langues, commenteront abondamment l’attention !

Sitôt les bagages livrés je suis accueilli par l’Université qui a dépêché un chauffeur et une étudiante de 3e année tout en gentillesse et en professionnalisme. Nous empruntons les quatre voies qui contournent longuement Pékin. Le décor pourrait être celui de la grande banlieue parisienne, du côté de Melun. Peu de relief, des échangeurs, des arbres plumés par l’hiver protégeant des champs qui attendront un climat meilleur pour les semailles. Même le ciel gris a des accents parisiens. Dans cette atmosphère brumeuse seule tranche une signalisation bilingue d’un vert vif.

Durant les deux heures d’autoroute fluide qui séparent l’aéroport pékinois de Baoding les questions se bousculent et trouvent réponse grâce à l’excellent français de la jeune étudiante qui m’a été dépêchée. Je ne suis pas certain qu’en France on accueille avec autant de prévenance et d’égards les professeurs étrangers ! J’en apprends un peu plus sur ce qui m’attend. Je m’informe sur les motivations des étudiants, l’avancement des cours.

Midi trente. Nous entrons dans Baoding, passons devant l’Université nouvelle où j’enseignerai à partir de lundi, et entrons sur le campus de l’ancienne faculté plus proche du centre-ville qui héberge étudiants et professeurs.

En 5 mn on me confie les clefs de mon studio, simple mais propre, confortable et bien chauffé que je vous présenterai un jour. Bravant l’horloge biologique qui m’ordonne d’inaugurer le grand lit du séjour-bureau je prends une douche chaude bien méritée après 24h de voyage et pars découvrir seul les abords de l’Université. Café internet (20c. €/h), dîner copieux (2€), provision de thé en feuille pour ma bouilloire et d’eau minérale (60c. € le tout) ; effectivement le yuan est encore meilleur marché que la livre sterling ! Premières intrigues linguistiques. On ne m’a pas menti. L’anglais ne me sera d’aucun secours et je bénis mon professeur de chinois de m’avoir enseigné quelques rudiments. Je rentre au crépuscule pressant le pas dans le froid mordant et sec. Cette fois je cède au sommeil. Il est 19h30.