Fév 112009
 

Belleville en vue(s) poursuit ses ateliers de cinéma. Sur trois séances, la dynamique association de la rue Piat propose à ses adhérents un parcours chronologique des auteurs, thèmes, techniques et mouvements du «cinéma documentaire».
Pour ce deuxième rendez-vous, remontant aux premières bobines du septième art, l’animatrice rappelle la proximité du documentaire avec le cinéma, la manière dont les deux se fécondent tout en insistant sur ce qui le distingue du reportage et l’éloigne du journalisme : le regard d’auteur.
Ce cinéma est rapidement confronté à la question de la représentation du réel, dont par nature on ne peut saisir que des représentations et qui fait dire à certains que « le réel n’existe pas ».
Deux écoles émergent très vite pour représenter la réalité.

  • Joseph Flaherty – Nanouk l’esquimau (1922), L’homme d’Aran, (1932-1934) – n’hésite pas à s’immerger dans le milieu qu’il filme, à influer sur le réel pour le rendre plus vrai que nature. Une démarche dont je note la proximité avec certaines mises en scène touristiques. Son écriture se développe dès le tournage(*).
  • A l’opposé, les tenants de ce qui deviendra le cinéma vérité inspiré du réalisateur soviétique Dziga Vertov (Kino Pravda dans les années 20) préfèrent les prises sur le vif, la caméra cachée, la vie telle qu’elle se présente, laissant au montage le soin de développer le discours.

Souvent ethnologique (cf. Jean Rouch), le documentaire est également très tôt traversé par le social, jusqu’à l’engagement militant. En France, Jean Vigo, dans À propos de Nice (1929), examine les inégalités sociales du Nice des années 1920.
La seconde guerre mondiale et ses images de propagande font prendre conscience que la subjectivité de l’auteur et du commanditaire peut conduire à l’instrumentalisation du vrai et provoque une crise de représentation du réel.

Le tournant des années 50 est marqué par l’innovation technologique. Caméra à l’épaule et son synchronisé (Nagra) permettent d’être au plus près des scènes filmées, d’interviewer sans écriture préalable. La naissance du courant cinéma direct au Canada est à situer dans l’émergence de l’identité québécoise bien illustrée par Les Raquetteurs de Michel Brault (1958). Aux Etats-Unis ce mouvement trouve une résonance sociale avec les réalisateurs Don Alan Pennebaker, Richard Leacock, Robert Drew et Frederick Wiseman au moment où le journalisme d’investigation se développe avec la télévision.

Ce rappel historique achevé nous avons visionné des oeuvres aussi diverses que :

  • Chronique d’un été, Jean Rouch et Edgar Morin, 1961, qui a autant valeur sociologique que manifeste du cinéma documentaire.
  • Belfast Maine, Frederick Wiseman, 1999, la chronique froide d’une ville au cadrage exigeant, à la caméra effacée à l’opposé du cinéma américain particulièrement centré sur la fiction hollywoodienne, qui pose la question « peut-on se permettre l’esthétisme pour montrer le réel ? »
  • A bientôt, j’espère, Chris Marker, 1967, diffusé à la TV française avec moult précautions oratoires montre la révolte des ouvriers de Rhodiaceta à Besançon quelques mois avant mai 68 sans sacrifier au geste d’auteur. Le style de son commentaire est particulièrement étonnant. Dans son sillage, de 68 à 81, vont se développer de nombreux collectifs de réalisateurs, tel que le groupe Menvetkine, avec une collusion filmeurs-filmés qui n’est pas toujours à l’avantage de l’œuvre faute de maîtrise technique et de distance par rapport à l’objet cinématographique produit. Ces expériences continuent aujourd’hui dans des lycées par exemple grâce à l’apparition de caméras compactes voires de téléphones. Un fort accompagnement professionnel semble indispensable pour éviter que le document ne reproduise les clichés du genre cinématographique (voir les travaux de Canal Marches).
  • Black Panthers, Agnès Varda, 1968, nous plonge dans le cinéma militant où le réalisateur – parfois issu du cinéma conventionnel – prend parti ouvertement pour la cause qu’il filme.
  • Portraits, Alain Cavalier, 1991, est un exemple d’une forme documentaire non tournée vers le présent mais la mémoire qui se développe pour recueillir, présenter, sauvegarder, interroger le passé proche ou lointain.

Je n’aurai pas la chance de participer au troisième et dernier épisode de cet atelier consacré au documentaire(*). Mais qui sait, quelqu’un prendra peut-être des notes à ma place !


(*) En France, Georges Rouquier est un représentant précoce de cette école. Pour Farrebique (1946) il n’hésite pas à s’immerger un an dans l’Aveyron pour restituer le monde rural. Les paysans jouent leur rôle, au rythme des saisons [on pense évidemment à Depardon aussi].
(**) Prochain rendez-vous sur le programme de Belleville en vue(s).