Plus par honnêteté intellectuelle que par plaisir je me devais de quitter mon repère douillet d’Ubud pour descendre à Kuta au moins l’espace d’un jour. A ce qu’on dit une nuit aurait été plus informative. Mais vous conviendrez que j’ai passé l’âge de me déhancher jusqu’à l’aube au tempo de DJ même les plus renommés de la planète.
De jour, Kuta est un brouillon de ville. Une cité sans repère, dont les façades sans unité ni fantaisie sont dévorées par des étalages à vous couper l’appétit du shopping-souvenir pour le restant de vos jours. La plage est d’une banalité navrante s’il n’y avait les rouleaux qui attirent les apprentis surfeurs et les haut-de-forme immatriculés : «massage mister ?». La ville a une courte histoire. Ca lui laisse toute la place pour le présent. Beaucoup d’insouciance depuis que les hippies ont échoué ici dans les années 70 avant d’y faire souche. Les quelques huttes en bord de plage sont devenues bungalows, puis hôtels, puis resort… les fêtes entre routards les nuits de pleine lune avec magic mushroom se sont mues en discothèque avec extasy. Les rues s’appellent Poppies I, Poppies II. La Jalan Double-six doit son nom à la boite qui la borde ! Pas commun et significatif. Sea, sex and sun. Pendant 30 ans l’insouciance a cédé progressivement le pas au business. La ville grandissait entre Denpasar et son aéroport. Kuta devient même la locomotive du tourisme balinais – avec la création de deux autres stations balnéaires Dua Nusa et Sanur – qui se développe avec une stricte répartition des rôles : au sud de Bali, l’hédonisme ; au reste de l’île : la culture avec sa capitale Ubud. Jusqu’aux attentats de 2002. La ville est la cible d’un commando de la Jemaah Islamiyah dans la mouvance d’al Qaïda. Kuta fait tristement l’actualité. Des décombres du Sari Club et des établissements voisins on dénombrera 200 morts. L’imposant ground zero memorial, en fournit la liste. Elle illustre le brassage qui s’opérait à Bali. Australiens et Indonésiens sont en tête, mais les Anglais, Américains,
Hollandais, Français, Polonais, Japonais ne sont pas en reste. On venait des quatre coins de la planète faire la fête à Bali. Et on y vient toujours. Après plusieurs années de vaches maigres qui ont durement affecté toute l’Indonésie, la Bintang coule à nouveau à flot, les coiffeurs tressent toujours les dreadlocks, les tatoueurs leur dessins éphémères et ce malgré une deuxième série d’attentats en 2005 moins meurtrière. Beaucoup plus de touristes asiatiques un peu moins d’Australiens. L’industrie du rêve n’est pas au-dessus de l’actualité. Plus le tourisme est important pour une région plus son économie est fragile et vit sous la menace. Un attentat, un tsunami, des émeutes, des compagnies aériennes mises à l’index(*) et c’est la crise. Les terroristes le savent bien. A Djerba, à Louxor, à Marrakech les enjeux de leurs actions sont multiples. L’attentat contre de touristes permet de dénoncer pele-mêle la décadence morale de l’Occident, les inégalités de revenus, les intérêts étrangers voire de déclencher une crise économique propre à rallier les mécontents à la cause. Encore un paradoxe. Le tourisme est un secteur très sensible au présent alors qu’il fait tout pour l’ignorer.
(*) l’Union Européenne vient d’interdire sur son sol les compagnies indonésiennes pour non-conformité aux normes internationales
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Kuta, le tourisme rattrapé par le présent ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/07/kuta-le-tourisme-rattrape-par-le-present/>