Juil 102007
 

Amed, Plage et Mont Agung (c) Yves Traynard 2007
Journée de lecture et de rédaction. La lettre mes amis de Ballade à vélo vaut mieux que le raccord maillot.

Chers petite reine et petit roi en bal[l]ade.

Votre réflexion rejoint avec plaisir la mienne et je vous remercie de me faire partager votre expérience du voyage. Et quelle expérience ! Trois ans déjà que vous parcourez le monde à vélo. A mon tour de vous livrer quelques unes de mes interprétations du voyage à la lecture de vos éclairages (dynamo bien sûr !)

J’ai aimé « le voyage c’est aussi notre vie». Ca change beaucoup de choses. Vous n’êtes pas des vacanciers, mais une sorte d’expatriés nomades, ce qui vous démarque des voyageurs «parenthèse». Je m’explique. Le voyage est souvent considéré comme une parenthèse hors du temps, de l’espace, des conventions, ce qui autorise d’ailleurs beaucoup à agir de manière totalement différente dans ce temps compté jusqu’à ôter toute responsabilité humaine et même le bon sens. Je lie cet effet à la genèse des vacances indissociable des congés payés et donc du travail (ah 1936 !). Le congé est alors ce moment rare de défoulement octroyé par l’employeur. Ce n’est pas un temps choisi juste un sursis avant la reprise. Je pense que de là vient cette mentalité jouisseuse dont a hérité le voyage (comme le week-end et les vacances scolaires). Il faut en voir le plus possible, optimiser… ça va être court car la prochaine fois c’est dans un an. Même si les rythmes de travail ont évolué la psychologie du voyageur est certainement le fossile de cette origine. Les préoccupations et les centres d’intérêt des pèlerins puis des voyageurs fortunés du 19e s. étaient totalement autres même si pointait déjà l’obsession du passé(*).

La Chine. Oui. J’avais été complètement déboussolé en 96 lors de mon voyage à Urumqi, pourtant loin des centres vitaux. Moi aussi je m’attendais à une Chine mao. Tous ces immeubles en construction, ces voitures, ce fut le choc. Faute de réfèrent je n’ai pas compris la mutation qui était à l’oeuvre. Qu’est-ce que ce doit être maintenant après dix ans de croissance dans les grands centres urbains ! J’ai hâte d’y retourner car en Chine (et en Inde) se construit une part non négligeable de nos demain. C’est effectivement incroyable notre capacité à générer de fausses images des pays. L’influence des lobby dans cette image (les droits de l’homme, les questions d’environnement par ex.), le poids de l’actualité (les conflits, les famines, le terrorisme…), l’acharnement sur certains thèmes (l’Afghanistan ce n’est que la burka, Rio que les favelas, les pays arabes que l’Islam…), l’anecdotique (les pubs anglais, les vélos à Amsterdam, le chameau dans les pays arabes, la sieste en Espagne…), conduisent faute de temps pour s’informer à une vision partielle, partiale et non à l’appréhension de la complexité. Cette représentation est un mépris des peuples. Il est paradoxal qu’à l’ère de la communication tout azimuth notre représentation du monde soit aussi biaisée. Et souvent le voyage au lieu d’offrir d’autres points de vue amplifie encore cette image. On ne voit jamais que ce que l’on est venu voir.

L’épisode d’Oman où votre jeune public s’étonne que vous ayez photographié beaucoup de pappy sur leur âne mais aucun mall symbole de modernité illustre parfaitement le décalage de perception, de représentation d’une même réalité entre les habitants et les voyageurs. Il illustre le prisme du beau et du bon qui nous influence. Ma réflexion porte beaucoup sur la lecture de la réalité du pays où l’on voyage. Voir juste mais comment ?

Le comportement du voyageur, l’art du voyage cher aux écrivains. C’est un thème énorme, passionnant certainement – je vous sens très sensible à ce sujet preuve que ce que vous en voyez vous choque – mais mon propos est différent. J’ai décidé de traiter de l’objet même du voyage et non de la forme, ce que l’on regarde, ce à quoi on s’intéresse plutôt que comment on le regarde. Cet art du voyage fait déjà l’objet d’une vaste littérature et d’expérimentations et c’est tant mieux. Son travers est de sombrer parfois dans l’élitisme. Mais bien sûr fond et forme sont liés au moins à trois titres.
1. Ayant défini un sens supplémentaire au voyage il faudra bien lui associer une forme. Le voyage au présent impose-t-il un comportement, une éthique particulière ou se diffusera-t-il par les mêmes moyens qu’aujourd’hui (agences de voyage, réceptifs spécialisés, guides pour voyageurs individuels…)
2. Je crois en la vertu pédagogique du voyage au présent. En s’intéressant plus aux sociétés qu’il croise le voyageur sera plus responsable et plus conscient de l’impact de son voyage. Ce qui peut le conduire progressivement à opter pour des séjours plus responsables voire à s’engager dans des actions en faveur du du pays visité.
3. Le voyage responsable (éthique, solidaire, équitable, écologique…), devrait accueillir favorablement le voyage au présent. Aujourd’hui voyager écologique par exemple, ne signifie pas que l’on s’intéresse à la société d’accueil (on peut vivre reclus dans un eco-lodge au Kenya deux semaines et ne s’intéresser qu’aux animaux).

Le chemin qui verra un intérêt nouveau au voyage – est au moins aussi long que le votre. Le voyage c’est le rêve, l’évasion. Ceux qui parlent de réalités sont perçus comme des rabat-joie. Même auprès de touristes culturels. Comment voir la réalité, la comprendre, sachant que s’il existe bien une réalité nous n’en percevons que des représentations. Heureux voyageurs, vous disposez de beaucoup de temps pour rencontrer les populations, appréhender les sociétés, vous documenter. Hélas le congétiste (comme disait Desproges) qui compose le gros de la troupe des touristes n’a pas cette chance. Le tourisme que je préconise nécessitera probablement des passeurs vers la réalité (guides-accompagnateurs livres, expositions, brochures…) permettant de se la représenter plus parfaitement. Paradoxalement le présent est plus difficile d’accès que le passé. Il n’est pas sûr que la rencontre furtive avec quelques habitants, dans une langue étrangère ne donne qu’une vision très partielle. Dans certains pays on rencontrera plus facilement la classe aisée anglophone qui donnera une image biaisée de la réalité. D’autre part il faudrait beaucoup de chance pour tomber sur un interlocuteur capable de décrire objectivement la situation économique, de donner un minimum de chiffres et de les mettre en perspectives… Si un touriste étranger de passage en France me le demandait j’en serais bien incapable.

Instituer une année de voyage obligatoire dîtes-vous à moitié sérieux. Oui, mais faudrait-il encore bien l’utiliser, ouvrir ses yeux et ses oreilles. J’ai rencontré beaucoup de jeunes diplômés en Asie du Sud-Est qui font du fameux study-gap une décompression, l’année de tous les excès avant d’entrer dans la vie active mais nullement une année de connaissance. Du fun. C’est tout. C’est comme si ce qu’ils voyaient n’avait aucun rapport avec ce qu’ils ont appris dans leur formation, l’effet parenthèse, si jeune ! Sans généraliser. Certains voyages d’étudiants, souvent à thème, sont très méritoires(**) mais ça reste l’exception.

Voilà chers amis mes dernières pensées sur un sujet qui m’absorbe beaucoup et dont j’ai espoir qu’au delà de la réflexion il enrichisse concrètement le voyage d’une dimension nouvelle.
Au plaisir de vous lire. Bonne route et soyez prudents dans les descentes !


(*) Voilà un thème que je devrais promptement creuser : l’inf
luence des voyageurs du 19e siècle sur le voyage contemporain. Il a sans doute fait l’objet d’une littérature.
(**) cf. Tour du Monde en 80 Hommes.