Mar 032007
 

La rediffusion surprise d’un Envoyé spécial(*) donnait corps à ma critique de la visite de Belleville samedi dernier. Aux antipodes d’un Belleville village paisible, on découvre des immigrées chinoises, clandestines, qui se prostituent pour rembourser la dizaine de milliers d’euros qu’a coûté leur passage en France.
Refusant d’en rester à cette facette sordide (et voyeuriste) de la communauté chinoise j’ai déniché un numéro passionnant d’Hommes et Migrations(**) qui dessine une histoire des Chinois de France. Les auteurs montrent que la stigmatisation de la communauté provient d’une méconnaissance de sa diversité. Ils distinguent pas moins de six vagues de migration de nature et d’origine très différentes.

  1. Les commerçants au tournant du 20e s., colporteurs de « pierres de Qingtian » puis d’articles divers, plus représentatifs par leur filiation que par leur nombre (quelques milliers),
  2. Les ouvriers venus suppléer en 1916-1917 les soldats de la Grande Guerre partis au front. On estime très approximativement que sur les 100 000 ouvriers seuls 3000 restèrent en France,
  3. Des habitants du Zhejiang arrivés dans les années 30 pour des raisons politique et économique. Ces premières vagues se regroupent dans le quartier d’Arts et Métiers à Paris(***),
  4. Au milieu des années 70, une population teochew(****) fuyant les régimes communistes (Cambodge, Laos, Vietnam), tristement célèbres comme «boat-people». Ils s’installent dans le 13e arrondissement et y développent un commerce ethnique,
  5. A partir de 1978, la politique d’ouverture économique en Chine aidant, des migrants du Wenzhou s’installent en particulier à Belleville. Ils profiteront du bon état de l’économie française pour réussir dans la confection et la maroquinerie.
  6. La dernière vague provient du Dongbei (N-E de la Chine). Ces migrants atypiques, en rupture professionnelle ou familiale, sont issus de la classe moyenne et sont peu organisés. Ils ont souvent une dette importante à rembourser. Sans papiers, ne maîtrisant pas la langue française ils sont à la solde de compatriotes wenzhou et teochew.

Les prostituées du reportage appartiennent à cette dernière vague. Ces nouveaux migrants seraient de moins en moins employables par leurs compatriotes, l’adhésion de la Chine à l’OMC rendant peu compétitif le textile « clandestin » par rapport à celui importé (!) Il est intéressant de noter que les anciens migrants, phénomène classique, n’aiment pas être assimilés aux nouveaux venus.
PS. : cette page du blog est certainement très partielle. Son but est juste d’illustrer la complexité. Tous commentaires sont bienvenus. Voir aussi les blogs de Pierre Haski.


(*) Envoyé spécial. 1er mars 2007. « Les marcheuses ». Rediffusion d’un reportage de 2006.
(**) Chinois de France. Dossier spécial de la revue Hommes et Migrations. N°1254. 2005.
Voir également l’étude du BIT, Le trafic et l’exploitation des immigrants chinois en France, Gao Yun; Véronique Poisson. 2005, 160 p. ISBN 92-2-217070-927.
(***) Association franco-chinoise Pierre du Cerf
(****) Amicale des Teochew de France