Sep 182008
 

Pour les derniers jours de l’exposition Dans la ville chinoise la Cité de l’architecture et du patrimoine offre des « séquences d’architecture » audiovisuelles de brillants réalisateurs chinois complétant le dispositif documentaire de l’exposition. Ainsi Platform(*), film de Jia Zhangke, nous entraîne dans un récit sensible sur la jeunesse chinoise rurale. Une jeunesse en conflit de génération tournant le dos à la Révolution Culturelle. Par petites touches le film illustre l’appétit d’Occident ou du moins de ses symboles (cinéma, pantalon patt’deph, K7 de rock…), l’arrivée de l’électricité et des premiers trains dans les campagnes, les privatisations, la montée des inégalités, le sort des mineurs, les sacrifices pour accéder à l’université, l’émancipation des jeunes, l’amour, l’enfant unique, le vol, la peine de mort… Un film à rapprocher de Shanghai Dreams et de Beijing Bicycle (Wang Xiaoshuai) ou de Passages (Yang Chao). Côté documentaire on pouvait revoir Le chemin de fer de l’Espoir(**) Grand prix du Cinéma du réel en 2002. La caméra de Ying Ning accompagne l’armée des cueilleurs de coton quittant le pauvre Sichuan pour le Xinjiang, mythique Farwest chinois. Plus que les conditions éprouvantes du voyage (50h de train, attente de plusieurs jours, bousculades, entassement) ce sont les espoirs que portent ces migrants saisonniers qui font le film : payer les études des enfants, sortir de la pauvreté, ne pas voler, réparer la maison… Dans Chine, la Deuxième Révolution(***), la réalisatrice de cet autre documentaire livre un témoignage humaniste sur un Pékin en mutation. Écriture sensible, au féminin, qui résume le rêve de tout Chinois issu d’un milieu modeste : voiture, couple, enfant et appartement confortable. Mais lorsque Xiaolu Guo se penche sur ceux qui font de ce rêve une réalité apparaît toute l’ampleur de la fracture sociale chinoise : armée de migrants de l’intérieur, employeurs malhonnêtes, conditions de vie indécentes. A rapprocher du court métrage l’Etre et le néant(****) réalisé pour l’exposition où la mise en opposition de deux chambres de Shanghai révèlent le fossé social.
A la lumière de ces films on comprend mieux le rêve chinois, mélange d’appétit de réussite et de besoin de reconnaissance internationale, de volonté d’entreprendre et d’inégalités croissantes, mais aussi d’espoir d’un monde nouveau. On pourrait retrouver dans ces mouvements un peu de notre industrialisation du XIXe s. et des Trente glorieuses si l’histoire se reproduisait ce qu’elle ne fait jamais à l’identique. Il est particulièrement intéressant que les enjeux de cette société en profonde mutation soient documentés par des Chinois et non des regards étrangers, toujours suspects(*****). Car quelles que soient nos gesticulations – plus ou moins habiles et plutôt mal perçues – ce sont bien les Chinois qui modèleront leur pays à force de prise de conscience. On le sait pour le vivre ici aussi, plus cette dernière tarde, plus la souffrance perdure. En apprenant la récente affaire du lait contaminé Sanlu, difficile de ne pas se souvenir qu’il a fallu en France la mort de 36 bébés dans l’affaire du talc Morhange pour qu’en 1975 une loi réglemente enfin la fabrication des cosmétiques et rende obligatoires l’étiquetage et la traçabilité des lots(******).


(*) Platform, Jia Zhangke, Chine, 2001. Jia Zhangke est le réalisateur de Still Life (Lion d’or du festival de Venise en 2006)
(**) Le chemin de fer de l’espoir. Ying Ning, Chine, 2001. Chaque année, plusieurs milliers d’ouvriers agricoles quittent leur province du Sichuan dans des trains bondés, pour un exode de plus de trois mille kilomètres, qui va durer trois jours et deux nuits et les mener à l’ouest de la Chine, où la récolte d’immenses champs de coton nécessite une main d’œuvre abondante. Ces migrations intérieures sont un phénomène relativement nouveau en Chine. Au fil du voyage, les paysans des régions pauvres de l’intérieur, dont la plupart quittent leur village natal pour la première fois, confient leurs soucis ou leur désespoir à la caméra.

(***) Chine, la Deuxième Révolution (The concrete Revolution). Documentaire de Xiaolu Guo. 2004.
(****) L’être et le néant (Being and Nothingness). Court-métrage de Han Jie. Chine. 2008.
(*****) La Chine contemporaine au filtre du cinéma. Reportage France-Culture à l’occasion de Cannes 2006.
(******) L’affaire du talc maudit, mars 2007, France 5.