Fév 112006
 

L’affaire des caricatures. Encore. La polémique a fait plusieurs morts. Et même si la tension semble retomber il y a, en pareil lieu, urgence à multiplier les axes d’analyse.

  • On peut s’en tenir aux stricts termes du débat vu comme affrontement de deux conceptions du monde qui s’opposent. Pour simplifier, une conceptions laïque, qui repose sur l’individu et sa liberté, l’autre religieuse qui met l’accent sur la communauté et le respect. On peut se positionner pour un camp ou pour l’autre. Trouver arguments, peser le pour et le contre.
  • On peut tempérer en parlant de la liberté et de ses limites.
  • On peut pardonner et relativiser ; ce ne sont que des mécréants après tout et ils sont loin de faire l’unanimité dans leur camp.
  • On peut chercher réponse dans la loi, bien floue sur ce point et de toute évidence à portée nationale dans un débat international.
  • On peut aussi, comme l’a fait Chirac, s’en tenir aux seules conséquences et faire de la real-politique, pour préserver les intérêts économiques français menacés par la polémique.
  • On peut dénoncer la provocation, la manipulation des deux camps sans s’attacher au fond.

On peut aussi légitimement s’inquiéter. Cette affaire ressemble en plusieurs points à celle du voile et la manipulation n’explique pas tout. Il y a cinquante ans ces débats ne s’imaginaient pas. Nous vivions dans des mondes qui ne communiquaient pas, l’affrontement c’était celui de l’Ouest et de l’Est, l’Islam n’était pas en débat. Sommes-nous aujourd’hui dans un choc de civilisation plus fondamental ? D’autres chocs plus violents ne nous guettent-ils pas, au réveil de la Chine par exemple ?

Je ne vois guère que le débat pour en sortir. Hors ce débat n’a pas vraiment lieu puisqu’aucun espace social n’existe, agora au sens grec, où pourraient se côtoyer d’égal à égal, un habitant de Karachi et de Marseille. Ce dialogue régulateur, de proximité, qui inspire l’auto-censure des comportements, existe à l’échelle d’une ville, d’un pays à travers sa vie sociale (entreprise, famille) ou ses intermédiaires que sont les médias, les intellectuels… Les forum dit mondiaux, très élitiste, sont encore loin de cette définition. De plus, pour être porteur de solutions, ce débat doit être transcendé par une communauté d’intérêts supérieurs (de survie économique par exemple) seul facteur de compromis.

Hélas, au niveau mondial, chacun vit encore dans sa sphère. L’image de l’autre, de sa pensée est totalement déformée au Nord comme au Sud(1). L’intérêt transcendant de survie planétaire n’est pas appréhendé ni même partagé. Dans ce contexte chacun s’en tient à ses certitudes et les passeurs restent trop rares. Ce sont eux qui doivent accompagner l’émergence d’une civilisation mondiale. Et même si cette dernière « ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité »(2), du fait des interdépendances et des flux migratoires il n’y aura pas de mondialisation sans compromis sur les idées.



(1) : il y aurait des livres entiers à écrire sur les préjugés entre peuples en ce siècle où l’on ne parle que de communication.
(2) : Claude Levi-Strauss, Race, histoire et culture.