Déc 032005
 

Ouverture du 23ème sommet Afrique France. Le président malien Amadou Toumani Touré a reçu ses 53 invités et d’après André qui est sur place il y a grande agitation à Bamako. Chirac semble même plus populaire au Mali qu’en France. !
ATT moi je l’aime bien. Il est drôle sans être stupide, évite la langue de bois, ne promet pas la lune à ses électeurs, sait être populaire sans être populiste, aime son pays, sait rester simple, essaye d’être exemplaire et de convaincre son entourage de l’être. Pour un président c’est si rare !
Il n’a pas sa langue dans sa poche pour autant. Avant-hier, sur France-Inter il portait une tunique aux couleurs de la journée mondiale du Sida pour prouver son engagement dans cette lutte et briser les tabous qui pèsent sur la maladie dans son pays. Il a traité la communauté internationale d’égocentrique et réclamé une énième fois que les pays riches cessent de subventionner leur production de coton dont la chute artificielle des cours affame les producteurs maliens.
J’avais pu apprécier le personnage lors de son unique visite officielle en France en 2002. Je vous joins le compte-rendu de la conférence de presse à laquelle j’avais assisté à l’époque pour vous faire une idée du bonhomme et des problématiques posées à un pays très pauvre. Comparez par exemple le montant de la dette du pays (effacée depuis) par rapport au chiffre d’affaire annuel d’une compagnie d’assurances. Vous verrez aussi que les préoccupations de l’Afrique francophone en général n’ont guère évolué depuis 2002 (visas, enfants de l’immigration, polygamie, coton…).
Vous pouvez suivre les développements de ces deux jours de sommet Afrique France, placé opportunément sous le signe de la jeunesse africaine, et ses contestations sur le site de RFI.




Conférence de presse de Amadou Toumani Touré, Président de la République du Mali devant le Club d’Accueil de la Presse Etrangère.
Paris le 12 septembre 2002, Maison de Radio France – 11h15- 12h

Dans la petite salle du CAPE nous attendons l’entrée d’ATT.
A.T.T. ? Les trois initiales d’Amadou Toumani Touré le tout nouveau président malien en première visite officielle en France depuis son élection. Il entre, glisse un  » bonjour messieurs-dames  » aussi doux qu’effacé puis s’assoit entouré de trois de ses ministres. Il paraît jeune, en pleine forme, souriant. L’animateur dresse un rapide portrait de son invité. Formation militaire en URSS puis en France en 89-90. En 1991 il renverse le régime autoritaire de Moussa Traoré. En 14 mois, il réalise une transition démocratique : mise en place d’un cadre législatif et d’un calendrier électoral, libéralisation des médias. Il conclue un accord qui met un terme à la rébellion touareg du Nord. A la surprise générale, et contrairement à une triste tradition africaine, le putschiste ne se présente pas aux élections présidentielles pour se succéder. Omar Alpha Konaré est élu démocratiquement. ATT se consacre alors à des rôles de médiateurs (Rwanda, Burundi) et à des actions humanitaires et sanitaires. Il revient sur le devant de la scène, en 1991 lorsqu’il démissionne de l’armée pour se présenter aux présidentielles qu’il remporte le 12 mai 2002 avec 65 % des voix. Un beau score pour un candidat qui n’est affilié à aucun parti.

Il remercie d’abord France Inter (et indirectement le parterre de journalistes) la radio qu’il dit avoir écouté toute la nuit en préparant son élection. L’homme sait flatter discrètement son auditoire…  » Acte d’amitié, de solidarité, de coopération « . C’est ainsi qu’il qualifie cette invitation officielle en France qui l’a laissé un temps perplexe. Premier fournisseur du Mali, et ancienne puissance coloniale en deux phrases il résume les liens qui unissent son pays à la France. Il rappelle habilement les Maliens morts pour la France sans référence à l’indexation des pensions des anciens combattants. Ce n’est pas sans humour qu’il aborde la question de l’aide. Il tient d’abord le discours anti-colonialiste, de fière indépendance et cite à ce propos le proverbe africain  » la main de celui qui donne est au-dessus de celui qui reçoit « . Sortir de l’assistanat pour passer au partenariat. Un discours visiblement rodé, à l’africaine… mais dont lui même connaît les limites.  » Nous n’avons rien demandé, mais nous avons reçu « . L’assistance sourit ! Et suit l’inventaire des bonnes œuvres de la France. Sur les 144 milliards de francs CFA de dette, la France a promis d’en effacer 40% soit 63 Milliards de Francs CFA. Je calcule rapidement : 630 millions de Francs français soit environ 100 millions d’euros. 1/10ème seulement du chiffre d’affaire 2001 du GPA présenté une heure plus tôt avec croissant et jus d’orange lors de la présentation des comptes aux cadres de mon entreprise dans le grand amphithéâtre Pasteur… Un chiffre d’affaire produit par un peu plus de 3000 salariés mais là-bas un boulet pour le Mali… car le reste sera payé régulièrement à raison de 1,2 milliards de francs CFA par an.

ATT a une idée qui lui et chère. Installer au Mali, une ENA africaine ouverte à toute la sous-région de manière à former des cadres compétents pour permettre la modernisation de l’administration africaine. La France aidera. La France aidera aussi pour l’accompagnement technique de la construction d’un barrage de Toussaï sur le Niger. Un projet de l’Autorité du Bassin du Niger qui nécessite coordination entre plusieurs états. Il cite un autre projet de la même nature sans préciser son avancement, dont je ne vois pas trop la faisabilité de prime abord : la liaison par voie d’eau de St-Louis à Bamako. Autre financement français pratiquement acquis : l’hôpital de Mopti. Il indique que c’est sa ville natale, suscitant le doute : y-aurait-il favoritisme ? Syndrome de Yamoussoukro ? Il rappelle que la priorité est la sécurité alimentaire.  » Nourrir « . Il a rencontré le MEDEF pour susciter l’implantation d’une usine de filature du coton. Pour traiter un peu des 570 000 tonnes de coton annuel et créer des emplois pour les jeunes du pays. Car l’or extrait des mines est trop tributaire des cours du dollar. On aimerait entendre un bilan des 100 jours écoulés depuis son investiture. Mais la primeur de ce bilan est réservée à son 1er ministre qui fera une déclaration à Bamako dans les prochains jours.

Il est sûr que la réconciliation nationale est réalisée mais qu’il reste à réconcilier les Maliens avec la politique. Sans cohésion, pas de Mali. Et de rappeler la devise du Mali :  » un pays, une foi…  » Va-t-il créer un parti ATT ?  » Ceux qui me demandent de créer un parti pensent plus à eux qu’à moi… « . Il redoute aussi le manteau  » ethnique « ,  » régional  » des partis africains. Et le Mali est une véritable mosaïque de langues. Il déclare un profond respect pur son prédécesseur et s’énerve lorsque l’on évoque un retour d’ascenseur avec Alpha Omar Konaré.

 » La corruption hypothèque totalement nos revenus et nous décrédibilise auprès des instances internationales « . Le proverbe africain fait mouche :  » Quand on fait le ménage dans la maison on commence par l’escalier du haut « . Le discours est fort. Mais à la question quid des enquêtes sur les scandales de la IIIème république… silence radio. La lutte contre la corruption est loin d’être terminée.  » Bonne gouvernance et développement  » telle est la formule avec laquelle il compte réussir. Mais prudent ou réaliste, à aucun moment il n’annonce d’objectifs précis. Ce qui a le don d’agacer un français marié à une Malienne. Et les petites gens alors ? Il détourne un temps la question : rend hommage au génie malien en citant
la richesse de ses textiles (les bogolan, les somptueux boubous expression qu’on croirait sortit d’une brochure touristique…), et un peu maladroitement la qualité bio de l’alimentation malienne (la ménagère qui achète sont poisson frais au bord du Niger et le cuisine aussitôt). Mais il revient sur le fond : oui  » payer les condiments  » expression malienne typique reste la préoccupation première et il est bien conscient que l’élection de l’Assemblée n’est pas du tout une préoccupation du Malien. Un fonctionnaire moyen passe 1/4 de son salaire dans la facture d’électricité ! (chiffre que me confirmera André qui me parle de plusieurs centaines de Francs par mois). Seule mesure concrète : il réfléchit à une détaxation des produits de première nécessité comme le sel.

La Libye revient souvent dans les questions. Mais le thème n’accroche pas. Il n’y a que la presse africaine pour croire encore à un rôle réel de Khadafi en Afrique noire. ATT évoque en termes vagues les relations culturelles avec la Jamahirya libyenne. Quant à l’intervention américaine sur l’Irak :  » la guerre est la dernière solution pour résoudre une crise internationale « … parole de militaire et d’ancien putschiste ironise-t-il. La question la plus saugrenue de la conf. est formulée ainsi : « Pourquoi les pays africains ne commémorent-ils pas les attentats du 11 septembre ? ». Sourire et dérision dans la salle. A.T.T. rebondit intelligemment sur le terrorisme. La misère et la pauvreté est le terreau du terrorisme. Le Mali aussi est exposé, d’autant plus vulnérable qu’il ne dispose pas des moyens de sa sécurité (services de renseignements…).

Retour en France. Effet de mode (?) la question des sans-papiers turlupine l’assemblée des journalistes. On sent ATT pas très disert. Il  » comprend le désarroi  » de ses frères maliens. Avec le Ministre de l’Intérieur français ils ont évoqué une  » autre gestion de l’émigration « . M. Sarkozy se rendra à Bamako en octobre pour tenter de conclure un accord. Il ne veut en dire plus. Visiblement l’échange n’a pas été celui attendu. Y aurait-il un deuxième charter de Maliens en préparation ? Il préfère évoquer  » ceux qui ont réussi « , la création d’une banque d’épargne pour les immigrés, les 1ère et 2ème générations binationales ou les difficultés d’acceptation des couples polygames en France. Nous ressortons conquis par ce jeune président aux idées claires et au discours alerte et sympathique. Un programme pragmatique loin des idéologies et des haines. Une volonté, de la réflexion, de la lucidité et de l’humour…
Mais il n’est qu’à cent jours de son investiture…