Déc 022005
 

« La nature ne pouvait prendre de plus grand risque qu’en laissant naître l’homme. » Cette citation d’Hans Jonas pourrait être le point de départ de son court essai intitulé Sur le fondement ontologique d’une éthique du futur publié en 1992 où le philosophe allemand questionne l’éthique sur les conséquences futures de notre action présente.

« Notre action d’aujourd’hui est devenue si grosse d’avenir, au sens menaçant du terme, que la responsabilité morale impose de prendre en considération le bien de ceux qui seront ultérieurement affectés par elle sans avoir été consultés. La responsabilité nous en incombe sans que nous le voulions, en raison de la dimension de la puissance que nous exerçons quotidiennement au service de ce qui est proche, mais que nous laissons involontairement se répercuter au loin.« 
J’ajouterais volontiers que cette dimension concerne autant le temps (dimension technologique, environnementale et obérante) comme l’indique Hans Jonas que l’espace (dimension socio-économique, mondialisante et immédiate). Une lecture qui donne plus d’acuité encore à ses propos.
Il appelle à un renforcement de la futurologie « projection au loin, selon une méthode scientifique« , indispensable au savoir sans lequel aucune responsabilité ne peut s’exercer. Cette science ne saurait servir d’avertissement qu’à ceux « qui cultivent également une image de l’homme […] qu’ils éprouvent comme confiée à leur garde« .

Il cherche ensuite à sonder la légitimité (intrinsèque à l’Etre, ontologique) de notre responsabilité pour le futur qu’il valide par le simple fait que « l’homme est le seul être connu de nous qui puisse avoir une responsabilité. En pouvant l’avoir il l’a » « La responsabilité est donc complémentaire de la liberté » Et rapprochant athées et croyants, il affirme qu’elle « existe donc avec ou sans Dieu, et à plus forte raison, naturellement, avec ou sans tribunal terrestre » mais devant quelque chose qui se nomme conscience pour l’athée.
La responsabilité devient injonction puisque l’Etre est doté ontologiquement d’une valeur nécessitant son respect. « Il se produit que l’appel général de tout Etre doté de valeur précaire me vise très actuellement et devient pour moi un commandement » et de conclure cette première démonstration par « la liberté humaine et la teneur en valeur de l’Etre, tels sont donc les deux pôles ontologiques entre lesquels se tient la responsabilité en tant que médiation éthique.« 
L’essai est loin de s’arrêter sur ce débat somme toute classique mais explore ensuite un axe plus novateur et le traite de manière plus concrète. Il pose comme évidence qu’en futurologie « la longueur de la prévision » ne peut « équivaloir la chaîne des conséquences » et indique deux tâches préliminaires :

  1. Maximaliser la connaissance des conséquences, en conjuguant la scientificité de la déduction à la vivacité de l’imagination avec comme objectif tant d’instruire la raison que d’animer la volonté face au péril,
  2. Élaborer une connaissance du Bien, de ce que l’homme doit être, qui doit puiser ses racines dans son histoire ce qu’il peut être (dans sa grandeur et dans sa misère) et dans cette métaphysique tombée en disgrâce qu’il souhaite réhabiliter, seule à expliquer pourquoi le suicide physique de l’espèce nous est interdit par exemple.


Pour ceux qui sont arrivés au bout et qui en redemanderaient…

Hans Jonas et l’éthique de la responsabilité par Bernard Sève.