Août 062009
 

Langogne, Vieux pont (c) Yves Traynard 2009

Par une météo peu favorable à la marche, j’ai repris la lecture du Journal de Route en Cévennes de Stevenson, « bercé » par les haut-parleurs du centre-ville dont la rengaine lancinante rend la terrasse des cafés rapidement infréquentable. Entre deux valses accordéon et une ritournelle d’Higelin, on vous rabâche jusqu’à plus soif les consignes de stationnement pour le marché des producteurs de pays, la prochaine visite guidée de Langogne et même le calendrier des fêtes 2010 ! C’est que le haut-plateau l’été se livre sans retenue au tourisme.
En lisant l’itinéraire plein d’humour de l’Ecossais randonneur, je me suis demandé comment voyagerait un Stevenson contemporain lancé sur les routes des Cévennes aujourd’hui ? Louerait-il un âne comme ses émules modernes, un vélo, voire un quad ou un ULM comme il en passe par dessus nos têtes, ou bien une voiture ou un van comme tout le monde ; se contenterait-il de ses seules chaussures de randonnées ; choisirait-il le camping pour dormir ou préférerait-il un gîte d’étape, une chambre d’hôte, un hôtel ? Qui rencontrerait-il et de quoi nous parlerait-il ? Echapperait-il à l’imaginaire touristique cévenol que son récit a lui-même contribué à forger ?
Pour démêler cet écheveau de questions il faut revenir au texte et aux intentions de l’auteur pour ce voyage. « Je ne voyage pas pour aller quelque part, mais pour bouger. Je voyage pour voyager et ensuite pour écrire sur le sujet, si le public condescend à me lire », nous confie-t-il quittant Langogne. Stevenson se veut témoin voyageur, journaliste itinérant, faisant de son voyage le sujet d’un récit. Dans la foulée, il livre d’autres ambitions : « Mais la grande affaire est de se déplacer, de sentir de plus près les besoins et les petites peines de l’existence, de se dégager de ce lit de plume de la civilisation, et de trouver sous les pieds le granit de la terre parsemé de silex coupants. » Retrouver donc aussi le contact avec la simplicité d’une existence rude… pour mieux fuir d’autres souffrances : « Comme la plupart des gens, j’ai lieu de penser à ce que je déteste, ou parfois à ce que j’aime trop. Je suis toujours prêt à y substituer des sujets de réflexion moins brûlants pour l’esprit, et, de temps en temps, aussi peu de chose que tenir un paquetage sur une selle sert à tenir l’esprit éloigné de tous les sujets trop absorbants »(*) En bon protestant, Stevenson ne s’épanche néanmoins guère sur ses peines de cœur ni même sur les souffrances qu’endure son corps malingre. Le témoignage sur la région l’emporte à chaque page, « ce bohème d’Anglais amateur » comme il se qualifie n’est pas du tout un romantique.

On retrouve finalement dans les motifs avoués de ce périple ce qui caractérise parfaitement le tourisme de ces dernières années, apanage des enfants gâtés par la vie matérielle, distraction accessible aux seules populations parvenues à un certain niveau de développement. Vivre à la dure, retrouver des « racines », s’imprégner de nature, fuir ses préoccupations quotidiennes, guérir son corps et son âme. Si en 1878 cet art du voyage était totalement étranger à la masse des paysans et des ouvriers de la révolution industrielle, et guère prisé des élites, il trouve aujourd’hui un vif écho dans nos sociétés contemporaines quelque peu névrosées. D’où le succès du Voyage avec un âne dans les Cévennes(**) devenu le livre de chevet de nombreux randonneurs et du Stevenson, nom de code GR70(***), qui connaît une notoriété croissante dans la foulée du Saint-Jacques de Compostelle.
Mais il y a tout à parier, qu’aujourd’hui, un pérégrin aussi indépendant que Stevenson fuirait les étapes imposées des gîtes et topo-guides, qu’il exécrerait ce monde trop balisé auquel nous sommes hélas condamnés. On sent dans son récit l’excitation que lui procure la singularité de son expérience : « Un touriste de mon genre, cela ne s’était jamais encore vu dans cette région. On me regardait avec mépris, comme quelqu’un qui projetait un voyage dans la lune, mais pourtant avec un intérêt respectueux comme un homme en partance pour un pôle inclément. » Et si à la fin de sa courte existence il s’installe aux Samoa au beau milieu du Pacifique, c’est pas seulement pour raisons de santé, mais bien pour ce goût des espaces nouveaux, de la découverte et de la singularité. Il gagnera d’ailleurs le respect des Samoans en pleine tourmente coloniale et y sera inhumé(****)

(*) Robert Louis Stevenson, Journal de route en Cévennes, Privat/Club Cévenol, Toulouse, 1978, p. 64. Intégralité des textes, documents, lettres et dessins rapportés par Robert-Louis Stevenson qui serviront de base à l’écriture du Voyage avec un âne dans les Cévennes.
(***) Un site d’information du Chemin de Stevenson GR70

(****) Entrée Wikipédia : Robert Louis Stevenson.