Avr 252007
 

Malacca, maison peranakan (c) Yves Traynard 2007

Malacca est devenue en l’espace de dix ans la capitale touristique de la Malaisie. Sa position historique de gardienne du détroit de Malacca lui a légué un joli patrimoine. Une citation(*) placée au jardin du sultan prétend que «Quiconque à la main sur Malacca tient Venise à la gorge.»
Les sultans malais ont dû de longue date composer avec les Chinois, Indiens, Portugais, Hollandais, Anglais et même Japonais. La ville est un inventaire baroque de styles et de populations. Boudhisme, Christianisme, Hindouisme, Islam, Taoïsme, toutes les grandes religions y ont leur temple. C’est à Malacca que fut proclamée la mederka, l’indépendance en 1957, mais Kuala Lumpur à 170 Km au nord lui fut préférée comme capitale du jeune État malais. Alors que faire de ce glorieux passé dans une sociéte dont le niveau de vie augmente, où le loisir est comme chez nous largement objet de consommation ? La réponse est tombée en 1980 lorsque la capitale provinciale de l’Etat de Malacca fut transférée 13 km au Sud à Ayer Keroh. Les plus hautes autorités ont décidé que Malacca serait la capitale du tourisme culturel malaisien. En hâte on a aménagé une foison de musées dans les locaux libérés à flanc de colline, rénové vigoureuseusement les shop-houses de China Town pour en faire boutique attrape-touriste, cafés et restaurants tendance rue Saint-Maur, gagné du terrain sur la mer pour caser deux centres commerciaux qui ne dépailleraient pas Porte de Bagnolet.
Durant cinq années deux architectes, l’un malaisien l’autre portugais, ont patiemment collecté la mémoire du vieux Malacca. Leurs 150 interviews et de nombreuses photos forment un épais beau-livre (**) dont le verdict est sans appel.
«Malacca is a city with an irreconcilable past. In wich history is hastily rewritten and packaged for mass consumption; in wich the oldest buildings are condemned, their parts sold to willing buyers; in wich the past is wrongly told but unquestioningly swallowed; in wich traditional comnunities are displaced by the inexorable drive for profit; in wich only the marketable is retained and the rest is discarded; in wich banality buries diversity; in wich historical icons are ripped out of context and exploited for tourism. A city whose name is «saleable» item nothing more.»
Ils dressent un inventaire provisoire des méfaits :
– développement incontrolé (hôtels et centres commerciaux)
– vestiges non étudiés
– histoire simplifiée travestie en son et lumières
– badigeon rouge uniforme sur les façades sans réalité historique
– profusion de musées sans rien à voir si ce n’est de la propagande à la gloire au parti unique.
– cimetière hollandais profané et muséifié
– 13 batiments début 19e s. sacrifiés sur le fleuve pour un projet touristique
– beaucoup de kitsh : trisha(vélos taxis), équipés de sonos, et même un moulin hollandais !
Malacca, restaurant Geographier (c) Yves Traynard 2007Les illustrations ne manquent pas. Pourtant ça plait. On se presse de Singapour et même de Chine pour visiter Malacca. Il serait un peu facile de jeter la pierre à la Malaisie. En France, combien de villes ont subi le même sort… pour le plaisir du plus grand nombre et du commerce ? Mais l’exemple de Malacca est si caricatural qu’il ne semble pas avoir tiré profit des erreurs d’autres villes touristiques. La pression des entrepreneurs ne trouve que peu de contrepoids dans la société civile. Néanmoins nos deux auteurs ne résolvent pas la question de fond. Que faire de quartiers dont l’activité économique n’a plus de sens depuis que nos modes de production artisanaux et nos modes de consommation ont été balayés par la production industrielle de série et le supermarché ? Comment garder une âme villageoise dans un quartier en profonde mutation ? Que faire d’un passé devenu encombrant sans en détruire les vestiges ? Quel nouvel ordre esthétique mondial avons-nous enfanté qui fait de Zanzibar la cousine de Limassol et de Malacca ? Cette fois c’est directement le tourisme qui pourrait faire l’objet d’une réflexion dans le cadre du voyage au présent.

(*) hélas non attribuée , mais probablement portugaise.

(**) Malacca. Voices from the street. Lim Huck Chin. Fernando Jorge. 166 p.