Avr 182007
 

Paris, Roissy, Avion de Singapore Airlines (c) Yves Traynard 2007Après quatre mois passés à Paris, l’heure du départ a de nouveau sonné. Singapour c’est déjà demain. Tous les voyageurs le regrettent. Trop propre, trop lisse, trop facile. Il me faudra donc lutter contre beaucoup de préjugés pour trouver un intérêt à cette ville. Faut-il bouder son plaisir ? La réservation des plus modestes auberges(*) – celles où on est sûr de rencontrer d’autres voyageurs – se fait en ligne, et l’on vous promet qu’internet et les boissons y sont offertes. Qui plus est, les communications depuis la France avec la Freebox sont gratuites. De quoi questionner, non ?
Je fais le trajet jusqu’à Roissy avec André qui se rend ce même jour, à la même heure à Bali mais par Kuala Lampur ! Nos avions se suivront de quelques centaines de kilomètres.
Nous dépassons le lion Generali. Un comble, c’est André qui me le rappelle ! Ça me semble si loin tout ça après tant d’aventures en un an et demi ! Demain un autre lion m’attend, celui de la mascotte de Singapour.

D’ici là pour meubler ces 11 000 km Singapore Airlines met à la disposition de chaque passager un véritable ordinateur multimédia logé dans le dossier du siège avant(**). Vidéo et musique à la demande, plan de vol, une suite Office à utiliser avec sa clef USB (word, excel, powerpoint), un guide pratique des destinations, les news et même des cours de langue. Les douze heures de vol ne suffiront pas à en épuiser les possibilités. J’ai révisé mes rudiments d’indonésien sur un jeu vidéo qui s’est révélé très pédagogique. J’ai reconnu Maputo dans Blood Diamond : la belle gare victorienne transformée en hôtel, les arcades indiennes que je photographiais avec Zacarias devenue l’espace d’une scène le repère du méchant Di Caprio,…
Enfin j’ai lu le très intéressant guide B-Wise sur Singapour. Cette collection(**) est destinée aux hommes d’affaires. Objectif : leur donner un vernis culturel pour éviter les grosses bourdes qui feraient échouer un juteux contrat. C’est tendance depuis quelques années. Il y a même des cours très chers dispensés sur le sujet à tous les expats. Je vous passe l’usage de la main droite, le oui qui ne veut pas dire oui, le cadeau qu’il ne faut surtout pas ouvrir devant l’invité, les règles du pourboire, ne pas faire perdre la face… C’est important certes mais ça reste du folklore quelque part. Il m’a semblé plus intéressant de consigner les éléments plus structurants pour la compréhension de cette société singapourienne.
Système politique
La Constitution est largement inspirée de la britannique (on s’en doutait un peu). Une seule chambre de députés élus au suffrage universel. Le président élu est le chef de l’Etat. Il tient un peu le rôle de la reine(je sais pas si il apprécierait cette comparaison !) car il désigne le premier ministre qui seul gouverne réellement le pays. Le PAP indelogeable est une sorte de parti unique et autoritaire, mais dont la stabilité a permis d’engager des réformes difficiles et d’envergure.
Économie
Singapour est un centre financier et de services orienté à l’exportation. C’est un «major entrepôt» : 30% des importations sont réexportées. Le pays dispose d’une industrie : électronique, raffinage, chantier naval, mais pratique surtout le commerce de gros et de détail. Singapour dispose d’une infrastructure de qualité tant portuaire qu’aéroportuaire. Son PIB par tête est de 27 945 usd (en parité de pouvoir d’achat). Spécificité : pas plus d’agriculture qu’à Monaco !
Population
4.2 millions d’habitants dont la caractéristique majeure est d’être immigrés ou descendants d’immigrés des 200 dernières années. Par origine on compte 77% de Chinois, 14% de Malais, 7% d’Indiens. D’où quatre langues officielles : le malais (langue nationale), l’anglais (langue des affaires), le mandarin (promu au détriment des autres dialectes chinois) et le tamoul parlé par la plupart des Indiens. Aucune confession n’est majoritaire dans cet État laïc légèrement dominé par les bouddhistes (28%, chrétiens 19%, musulmans 16%, taoïstes 13%, hindouistes 5%). Le pays pratique ce qu’on pourrait appeler une «immigration choisie» depuis 1965. Les migrants sont des temporaires soit non qualifiés, soit employés par les multinationales (expat). Ils seraient au nombre de 400 000 et principalement de la première catégorie.
Traits culturels
Cette société multiethnique, multilingue, partage un même sens de la citoyenneté. Elle est d’allure moderne mais pas forcément occidentale. La base est la cellule familiale. De nombreux clubs d’affaire existent. Les Chinois sont ceux qui ont la vision à plus long terme de la cellule familiale, devant les Indiens et les Malais. Les mariages inter-ethniques sont l’exception.
Être au top, donner le meilleur de soi-même, travailler le week-end s’il le faut c’est le sens du kiasu, en partie la clef de la réussite du système singapourien. 92% de la population sait lire et écrire mais on compte proportionnellement peu d’universitaires. Côté classe sociale, l’élite est composée des haut fonctionnaires à dominante chinoise et des expats des multinationales. Au niveau du management l’organisation des entreprises est classique en «managing director» supervisant des directeurs et des managers. La promotion se fait plus au mérite que par relations. La modestie prévaut dans la présentation de ses capacités. Il est très important de ne pas critiquer un employé en public. Il faut le faire discrètement, indirectement et très poliment. La confiance est longue à acquérir. Les conflits ouverts, les prises de bec n’ont pas cours. Il ne faut pas se fier aux look, aux apparences occidentales, à l’excellente maîtrise de l’anglais ou à la qualité des présentations formelles dont ils sont les as. Les décisions clefs sont souvent prises par les ainés. Voilà de riches thèmes qui, étoffés, devraient donner matière à un voyage au présent.
La nuit tombait à Singapour alors que nous décollions de Paris. Quelle frustration de faire ce voyage si vite, ne faire que survoler la mer Caspienne, le Turkménistan, l’Afghanistan où nous sommes passés juste au-dessus de Waras où il y a quatre ans je travaillais à un projet de bibliothèque, le Pakistan et l’Inde. Tant de kilomètres dans un avion à moitié vide. Quel gachis. En France les transports comptent pour plus du quart dans la production de gaz à effet de serre(***). Au niveau mondial l’avion serait pour 3% dans ce décompte. Dans ce cas faut-il se détourner de l’avion et revenir à des moyens de transport plus doux. Faudra-t-il voyager moins fréquemment, moins loin ? Personne aujourd’hui ne l’entend ainsi. Et surtout pas les pays réceptifs du Sud qui ont l’impression de devoir faire à nouveau les frais du gaspillage des pays riches. La profession sent le vent tourner et travaille à la parade. On parle d’une taxe écologique pour planter des arbres, une sorte de droit à polluer… Voyager au présent c’est aussi se préoccuper de l’impact de son comportement sur le monde que l’on parcourt. A suivre donc.


(*) Backpacker Cozy Corner en l’occurrence

(***) B-Wise. Copyright Ninth bovse production.
www.atmaglobal.com
www.journquefttravel.com
(**) Le Monde du 18/4/2007. Supplément p.5.