Avr 232007
 

Singapour, Mosquée du sultan (c) Yves Traynard 2007

Le voyage au présent est-il universel ? Un Français a-t-il les mêmes centres d’intérêt qu’un Néo-Zélandais (au hasard) ? Tout le monde dira que non bien sûr et pourtant comment expliquer que les guides les plus vendus soient traduits sans aménagements (Lonely Planet, Footprint….), que les circuits à Singapour (et ailleurs) s’adressent indifféremment aux Chinois et aux Australiens. De quel nivellement cela procède-t-il ? Par le haut, le bas, la tranche ? Voilà une question à méditer en attendant la publication d’un guide de voyage par et pour les Papous en visite en France, si, si on m’a dit que quelque-chose du genre était sous presse (à suivre ici même).
Dans les thèmes qui interpellent chaque Français on trouve forcément l’Islam. Le voyage est sûrement un moment précieux pour prendre du recul sur ce sujet dont le traitement est tellement imprégné par ce que nous renvoie l’actualité qu’il devient difficile de démêler le religieux, le politique, le social, le national, le géostratégique, le cas particulier, le général… dans sa compréhension. Autre lieu, autre islam ? La visite commentée de la mosquée du Sultan au bout de la charmante Bussurah St. peut-être tout à fait éclairante. A condition de pousser un peu les questions car le sympathique guide s’en tient au B.A. BA: énoncé des cinq piliers de l’islam, les formes de la mosquée (salle de prière, minbar, mirhab), le rite (ablutions, heures de prière) et les grandes dates de la mosquée. Encore folklore(*) et histoire en lieu et place de la connaissance profonde, de l’esprit des formes, des mutations. Ceci dit cette initiation convenait visiblement très bien au petit couple chinois avec qui je partageais la visite.
Aller plus loin c’est demander le contenu des prêches du vendredi dans ces 69 mosquées singapouriennes toutes gérées par le conseil islamique ; qui les rédige, que contiennent-ils ? La zakat, qui la perçoit, à quoi sert-elle ? Quelles relations sont entretenues avec les autres musulmans ? Sur ce point réponse amusante : « les Musulmans de chez vous sont très orthodoxes ». La pratique du rite dans une société avec les contraintes d’un pays moderne (aménagements horaires par confession) ? Comment se transmet l’éducation religieuse ? Y-a-t-il des mariages mixtes, et va aussi pour la question du foulard, du terrorisme. Et la foi… se perd-elle, comment cohabite-t-elle avec la profonde occidentalisation des modes de vie et de consommation ? Quelles sont les relations à l’intérieur de la communauté musulmane (malais, chinois, indiens)(**). Aller encore plus loin serait de poser la question de l’altérité ? Comment perçoit-on le non-musulman…
Singapour, MRT Harbour Front, les amoureux (c) Yves Traynard 2007Voila qui pose immédiatement la qualification et la liberté d’expression du guide. Et sans doute le nécessaire dialogue des points de vue entre la parole du croyant éclairé et le recul d’un anthropologue des religions, d’un sociologue… pour aider à décrypter sans juger. Dur métier, à inventer ?
J’ai trouvé un « informateur » introduit dans la société singapourienne sans en être issu. Il me décrit l’envers du décor de cette société moderne. Les bons salaires mais le coût exorbitant de la vie. Le poids de la fiscalité, de la censure, de la surveillance entre voisins, le coût des traitements médicaux, des retraites. Mais une visite au présent sérieuse ne peut se satisfaire d’un informateur, du on-dit… Il faut des faits, des chiffres, des comparaisons, expliquer comment on en est arrivé là, parler des possibles évolutions, de ceux qui y trouvent leur compte, donner le point de vue du censeur… pour comprendre en profondeur, avant là encore de juger.
Autre thème intéressant d’une visite au présent. Vivre « air-conditionned ». Maison, travail, voiture, centres commerciaux tout est air-conditionné à Singapour. Confort ou nécessité ? Quelles conséquences personnelles et collectives à long terme. Quelle empreinte écologique. Durabilité et alternatives ?

Passé l’après-midi à compléter copieusement mes notes de voyage avant de partir pour la Malaisie. D’expérience je sais que si l’on ne transcrit pas ses impressions sur le vif on les oublie vite, on déforme, on perd en richesse. Tout ça donne un récit pas vraiment conventionnel, on s’y noiera sans doute. Je m’aperçois que j’ai ignoré ce qui fait le voyage classique : les transports (le MRT un bonheur comparé à notre métro), les petites misères de l’hôtel (le voisin qui hurle ses cauchemars, les voyageurs au long cours revenus de tout), les chefs d’oeuvres exposés (splendides tissus indonésiens), la petite pluie chaque après-midi, la moiteur, le décalage horaire auxquels il faut bien trois jours pour se remettre, la variété des cuisines, les immenses centres commerciaux, la sécurité (les vidéos anti-terroristes passées en boucle dans le métro) et la menace des amendes (Singapour is a « fine » city), la propreté voire l’aseptisation, les prix… Désolé pour la carte postale donc, mais vous trouverez tout ça sur la plupart des blogs de voyageur consacrés à Singapour.
Terminé la soirée dans un café oriental (égyptien) avec chicha. La mode à Singapour remonte à deux ans. Mais à Johor Bahru c’est beaucoup mieux et surtout bien moins cher me dit mon voisin de table, singapourien et consultant en ERP. Il trouve choquant vis à vis des libertés individuelles l’interdiction des cafés chichas en France à partir de 2008 ! Surprenant pour un citoyen d’un pays où ne pas tirer la chasse est puni d’une amende.
Ce sera pour l’instant mon dernier jour à Singapour, ce pays dont on fait le tour en métro. Cette première prise de contact avec la cité du lion m’est suffisante. En peu de temps ma réflexion s’est enrichie de nouvelles perspectives : la place du musée, la liberté de parole, les référents du voyage au présent, ses prescripteurs, la difficulté à décrire une société qui nous parait proche en apparence… Rappelons que je ne suis pas venu pour voyager au présent moi-même mais évaluer les besoins et les possibles de ce domaine. C’est frustrant pour mes lecteurs aussi mais je terminerai ce voyage avec plus de questions que de réponses. C’est la règle du genre. Demain matin dès 11 h je serais dans le bus de Malacca, ancien comptoir portugais, grande rivale de Singapour dans l’histoire. Malacca en Malaisie. J’aurai tout loisir si je ne musarde pas trop en route d’enrichir ma connaissance de ce fascinant Singapour mi-juillet, juste avant de rentrer en France.


(*) Désolé pour le terme appliqué ici à un monothéisme mais après tout ne l’utilise-t-on pas sans retenue pour des religions dites « premières »‘ ? Je veux dire simplement si aucun sens n’est donné le rite devient folklore au sens péjoratif, c’est à dire dénué de signification, spectacle.
(**) Il est singulier de voir dans une même mosquée des Coran en quatre langues.