Mar 202010
 
Baoding, salle d'attente (c) Yves Traynard 2010Le festival débute à peine, que Last Train Home s’impose à mes yeux comme un redoutable compétiteur dans la catégorie Premiers films(*). Si j’y ai été particulièrement sensible ce n’est pas (uniquement) parce qu’il se déroule en Chine. Des psychodrames identiques se jouent partout où les conditions sociales et économiques engendrent une brutale discontinuité dans la société, remettant en cause sa cellule de base, la famille.
La question des trains archi-bondés lors des congés annuels – prétexte du documentaire, sert, par l’exhibition du nombre, autant à illustrer l’ampleur de la question en Chine qu’à pointer son universalité.
Fan Lixin a pris le temps nécessaire pour que s’exacerbe les tensions au sein de cette famille pauvre des campagnes du Sichuan, dont les parents ont rejoint une grande ville lointaine dans l’espoir d’assurer un meilleur avenir à leurs enfants… et leur retraite. La grand-mère, tout à la fois nounou, mère, père, gardienne et relais de la tradition, a la lourde charge des deux enfants et de la ferme. C’est elle qui tient la famille, pousse les enfants à l’école, la seule à taire ses souffrances, la disparition précoce d’un mari. Elle sait manier la parabole « Goûte l’amertume d’abord, la douceur viendra ensuite » conseille-t-elle à son petit-fils attablé. Hélas, crise de l’adolescence oblige, les enfants ne sont plus prêts à goûter de ce pain noir, ne reconnaissent plus ces parents invisibles, ne s’identifient pas à leurs valeurs, ni même à leurs sacrifices.
Pour rendre palpable les tensions, le réalisateur a donc attendu trois ans, pour que se noue le drame. « Vous voulez filmer la vraie vie, ça y est, vous l’avez ! » lui jette Qin l’adolescente rebelle, lorsqu’elle affronte enfin des parents trop longtemps absents, au mépris des règles élémentaires de la bienséance confucianiste. Sans recours, les parents ne peuvent que céder, pour sauver l’unité familiale. Qin abandonnera ses études, passeport indispensable pour gagner un statut enviable, et rejoindra Shenzhen pour y jouer la barmaid.
La caméra a beau s’appesantir sur la beauté des paysages et la quiétude du village, au bout de la voie ferrée, c’est la ville avec ses mystères qui scintille, attire inéluctablement. En Chine comme ailleurs, c’est elle qui pour l’instant a gagné la partie. Seule l’obstination patiente d’un documentariste de talent pouvait capter la souffrance intime de cette famille chinoise, la rendre intelligible autant dans son contexte que dans son universalité. On retiendra l’émouvante scène d’acceptation autant que de résignation des parents aux projets de leur fille.

La soirée s’est poursuivie en compagnie chinoise. Dans We Went to Wonderland, Xiaolu Guo, nous embarque sur les routes d’Europe avec ses parents qui quittent pour la première fois leur Chine natale(**). Grand moment d’humanité et d’interrogation de l’altérité tourné avec la caméra… d’un appareil photo ! De l’aveu de la réalisatrice, même le noir et blanc serait un stylish mistake assumé. Privé de la parole depuis une grave opération, le père, un brin espiègle, note ses impressions de voyage sur des carnets et relève au passage les différences entre l’Europe et la Chine. La caméra se penche et nous lisons. Le ramassage des ordures n’est pas efficace dans ce pays ; les bâtiments sont tous vieux ; les Chinois font beaucoup plus de sport le matin que les Européens… Papa, ancien artiste officiel de l’ère mao, veut tout visiter, tout photographier. Quand sonne l’heure de rentrer en Chine, il rêve encore de découvrir les trésors de Léningrad [sic]. Mais maman, elle, dit qu’on est quand même mieux chez soi, même si c’est pollué et que ce voyage est bien fatiguant. Franchement, ma mère n’aurait pas dit autre chose !


(*) Last train home, Fan Lixin, 87′.
(**) We Went to Wonderland, Xiaolu Guo, 76′, précédé de An Archeologist’s Sunday, Xiaolu Guo, 8′.