Mar 182010
 
Paris, MAP 2010 (c) Yves Traynard 2010Pour un observateur du tourisme, le MAP est un incontournable(*). Hélas, le salon de la Porte de Versailles s’étiole un peu plus chaque année. La crise est passée par là, mais pas seulement. La dématérialisation ne vaut pas que pour les billets d’avions. Catalogues en ligne, émissions TV, blogs de voyageurs, forums, diaporamas inépuisables et cartes interactives ont tué la machine à rêver. A quoi bon arpenter les allées de la Porte de Versailles quand tout est à portée de clavier ? L’e-tourisme et sa promesse de réalité augmentée a d’ailleurs le vent en poupe à ce Mondial du tourisme 2010 qui n’a jamais si mal porté son nom.
Pour sauver la croisière du naufrage, il reste les aficionados, valise-cabine ou caddie à la main, amassant prospectus et brochures d’un voyage qui restera sans doute de papier, les trafiquants qui quêtent l’invitation à chaque stand pour les revendre à l’entrée et les étudiantes en tourisme.
Bourse plate, les organisateurs ne savent plus quoi inventer pour attirer le chaland. Cette année, puisqu’il ne reste de stands un peu fournis que les poids-lourds (France, Maroc, Turquie, Tunisie, Chine et son carré Shanghai 2010) ils ont décidé de jouer la carte de l’insolite, une tendance en passe de détrôner l’authentique. Ca donne une 2 CV pour visiter Paris, des caves de champagne en spéléo, Montmartre en compagnie d’artistes, des hôtels décorés années 60, des vols en ULM accompagnés par des oiseaux migrateurs… bref, de l’aventure et du spectacle. Participant au brouillage des pistes, au gommage des frontières qui donnait sens et réalité au voyage, après la cuisine, la décoration et la mode, le world-fusion dévore à grandes dents les particularismes. Ainsi, yourtes dans le Haut-Jura, tipis près du Mans ou chambres d’hôtel perchées dans les arbres sur l’île de Groix vous dispensent de Mongolie, d’Amérinde ou de Papouasie. Ne nous plaignons pas, c’est bon pour le CO2.
Paris, MAP 2010 (c) Yves Traynard 2010Sur la scène, on essaie de croire encore aux longs courriers. L’animateur tutoie allègement les « peuplades » invitées. Lorsque des danseuses mauriciennes entrent en scène, il lance au chef du groupe un élégant « y’en a une qui est a toi là-dedans, mon ami ! » Le public, canotier sur la tête, est hilare. Et les danseuses pas rancunières d’enchaîner une sega. Du chant créole, s’échappe des « vini dans notre île… paradis… on vit en harmonie ici… ». L’exotisme à encore de longues années devant lui et du reste, le colonial fait un retour en scène remarqué au propre comme au figuré. Paris, MAP 2010 (c) Yves Traynard 2010Des peuples conquis ou des colons, on se demande qui a le plus de peine à tourner la page de cet imaginaire poisseux. Les libraires, qui comme les marchands d’épices, résistent mieux que les offices de tourisme et les voyagistes, exposent sans complexe des tables entières de récits du XIXe s. Des collections s’en sont fait une spécialité à grand renfort de papier jauni, de tons délavés rajeunissant une esthétique coloniale fait de « types » et de « scènes de genre »(**). Dans ce fatras sans-frontièriste, rares sont ceux qui s’essaient à l’intelligence, qui renoncent à la facilité, qui parlent au présent, d’êtres humains qui nous ressembleraient, au fond, en creusant bien, qui partageraient même nos préoccupations. Parmi ceux qui ont la conscience que l’Autre du voyage n’est pas seulement une marchandise citons des acteurs du tourisme solidaire(***), des autochtones du Québec qui s’emploient au passage à démystifier le contemporain des aborigènes(****) ou cette jeune agence qui propose de découvrir le présent et le futur de Lille et Nantes(*****). Bon courage à eux qui voguent à contre-courant. Le slogan de ce Mondial du tourisme 2010 « Libérez votre instinct voyageur » suscite tout le contraire d’une pensée. L’instinct n’est-il pas ce qui chez l’homme s’oppose à la culture ?

(*) Le Monde à Paris. Mondial du tourisme. 18 au 21 mars 2010. Porte de Versailles.

(**) Editions Magellan, voir les titres Algérie, mon amie par exemple. Rappelons que ce qui m’énerve dans cette affaire, ce n’est pas que soit publiés ces textes (Alfred Baraudon était même un français très progressiste), mais qu’ils envahissent, qu’ils soient associés systématiquement et en masse aux destinations coloniales, au détriment de la connaissance de la littérature et des questions contemporaines d’expression locale. Cf. les collections Bouquins (R. Laffont) et Le goût de (Mercure de France).

(***) malgré mes réserves : TDS
(****) STAQ
(*****) Diverteo.