Juil 072009
 
Lorsqu’elle était la capitale de la brillante dynastie Song du Sud (1127-1279) et que Marco Polo la visita, Hangzhou était déjà une très grande ville peut-être une des plus grandes au monde. Seul le petit-fils de Gengis Khan vint à bout de cet important foyer économique et culturel.
J’ai lu que la ville dût son essor à sa position, à l’extrémité sud du Grand canal (de Chine, pas de Venise !) Ce canal s’étirait sur près de 1800 km lorsqu’il reliait Hangzhou à Pékin. Pour mémoire, le prestigieux canal de Suez en fait 160 et celui de Panama 80. Ils ne sont guère comparables, le Grand canal chinois relie non deux mers mais des villes très peuplées. Il utilise de nombreux cours d’eau existants et remonte pour sa partie la plus ancienne au 5e s. av. J.-C.
J’étais curieux de voir l’embouchure de ce plus long canal de la planète. Comme mon guide était muet sur le sujet, je me suis muni d’un plan, avant d’enfourcher mon Vélib’ pour traverser la ville. Grâce aux larges pistes cyclables dotées d’auvents pour ne pas brûler aux intersections et l’aide précieuse de quelques vendeurs d’eau – je carbure à 3 litres par jour – je suis arrivé à l’écluse en pleine manœuvre. Pas moins de six barges de sable, de charbon attendaient l’ouverture vers la mer. Le canal n’est donc pas mort même s’il ne relie plus Pékin. La Chine a d’ailleurs un vaste projet de grand canal (le nan shui bei diao) pour alimenter en eau le nord du pays assoiffé qui fait couler plus d’encre que d’eau pour l’instant. Les critiques internationales sur ce projet chinois pleuvent, mais on entend bien peu de contre-propositions. Il faudra bien pourtant que la Chine trouve des solutions pour son eau et son électricité sauf à lui dénier le droit élémentaire à la vie et au développement(*).

La Chine reconstruit tout sans complexe. L’immense pagode Leifeng perchée sur une colline du lac Ouest, contribue beaucoup au paysage de Hangzhou. Son allure d’immense pomme de pin offrant son millefeuille de toits ondulants au vent semble intemporel.
Quand on s’approche de la pagode la première chose qui surprend c’est la présence d’un escalator pour en atteindre l’entrée. Après tout, on a bien un funiculaire pour monter à Montmartre. Mais le visiteur français n’est pas au bout de ses surprises. Franchi le seuil de la pagode, on l’invite à emprunter un ascenseur en verre pour gagner le 4e étage pour goûter une vue splendide sur la ville et le lac. Étonnement. Les terrasses circulaires, l’intérieur, tout est flambant neuf dans ce vénérable sanctuaire bouddhique daté du 10e s.

Le mystère ne s’éclaircit qu’en sous-sol. Soigneusement préservées comme les vestiges du vieux Louvre, on découvre, sous les piliers en béton armé qui supportent la pagode actuelle, les ruines en pierre de la base du monument antique. La pagode s’est effondrée en 1924 et, si son aspect extérieur reproduit du mieux que possible l’original, toute liberté a été prise pour l’intérieur lors de sa reconstruction en 2001.Nul trouble des ruines cher à Françoise Cloarec dans ce pays ou Freud est un inconnu. Les touristes chinois, un plutôt pèlerins, jettent des piécettes par-dessus le parapet de verre. Nul souci de l’authentique non plus au sens où nous l’entendons, ce que déplore sans surprise le Lonely Planet : « With history heavily repackaged, it’s not that authentic – not by a long shot – but it’s still a grade-A cover version of classical China. »(*)

Les exemples de reconstruction massives abondent. L’appétit mercantile des promoteurs n’est pas le seul motif du procédé. La reconstruction est ancrée dans une tradition culturelle. Certains l’associent à la fragilité du bois dans lequel sont construits la plupart des monuments anciens. Les temples sont régulièrement repeints dans des rouges, des bleus, des verts éclatants, là où les Européens ne jurent que par la patine, oubliant au passage que les porches de leurs cathédrales – comme les tapis anciens – étaient de couleurs vives.

A Hangzhou, le quartier de Wushan continue d’être reconstruit massivement plus que restauré à l’ancienne dans le but d’accueillir toujours plus de touristes dans ses restaurants et boutiques. Même dans ma petite ville de Baoding le centre historique subit le même mode de mise en valeur commerciale. Les façades blanches, façon carrelage salle de bain caractéristiques de la Chine des années 80-90, sont en train d’être remplacées massivement par un parement gris imitant la brique traditionnelle. Après avoir dilapidé son patrimoine historique – un phénomène commun au processus de développement de tous les pays, ici aggravé par l’imbécile Révolution culturelle – la Chine trace une voie originale entre modernisation, préservation des centres-villes et intérêt économique et des populations.


(*) Lire par exemple, La route de la soif, Le long du Grand Canal, sur les berges de l’économie chinoise, Charlie Buffet, revue XXI n°2, avr-juin.2008, p. 46 et svtes. Illustrations : Cédric Pigot.
(**) China, Lonely Planet, 2009, p. 308.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Fake cities ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2009/07/fake-cities/>

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