Juil 042009
 
 Suzhou, Musée de la soie (c) Yves Traynard 2009Suzhou donc, versant « touristique » puisque personne ne me fera visiter, ni ne me parlera de la ville contemporaine. Aucun guide, aucun musée, aucun office de tourisme. J’ai bien tenté le Musée de la soie, espérant que, après avoir longuement développé la route mythique, ses caravanes et ses étapes, on me parlerait aussi de la soie aujourd’hui, ses qualités, les naturelles et les artificielles, les régions de production, les pays consommateurs, les usages modernes et le prix. Franchement, est-ce trop demander d’un musée de la soie au 21e s., ma curiosité est-elle déplacée ?
Peine perdue. Le parcours muséographique, avec vrais vers, vrais cocons, et reproduction de soies anciennes s’achève sur d’antiques métiers à tisser du milieu du 20e s. avant de vous conduire sans échappatoire possible à la boutique où les plus belles pièces tutoient les 1000 euros.
L’étape boutique incontournable au sens propre relève du manque de tact pour un musée payant ; en Chine aussi le tourisme rime autant avec tiroir-caisse qu’avec connaissance.
Au passage, on comprend comment, des impératifs commerciaux empêchent tout discours crédible sur le monde contemporain. C’est le reproche que l’on peut faire au tourisme de « découverte économique » organisé par des entreprises plus soucieuses de leur image que d’information objective du public.

 Suzhou, canaux (c) Yves Traynard 2009De toute façon Suzhou (prononcer «soudjo»), c’est la Venise de l’Orient, on le proclame partout et il n’est donc pas permis d’y chercher autre chose. En 30 ans de voyage, on m’en aura vendu des venises ! Venise verte (marais poitevin) ou des Alpes (Annecy), Venise du Nord (Bruges, Amsterdam ou Amiens c’est selon), Venise des sables (Palmyre), Venise américaine (Fort Lauderdale près de Miami), Venise malienne (Mopti).
Un collectionneur en venises m’en reprocherait au moins trois à ce tableau de chasse : Bangkok, Bassorah et Ganvié (respectivement venises thaïe, arabe et béninoise). Q’importe.
Ma suspicion quasi-maladive, à l’égard de ce qui n’est finalement qu’une image, vient sans doute d’avoir visité la vraie Venise à 20 ans. La simple présence de canaux ne fait pas d’une ville une Venise en puissance. Venise c’est un univers complet, géographique, historique, politique, économique, culturel, humain qui a produit une singularité sans équivalent.
Suzhou elle-même a sa propre personnalité qui ne mérite pas plus d’être réduite à Venise qu’elle n’a jamais cherché à imiter. Pour Suzhou l’analogie prend rapidement l’eau si l’on peut dire. La Venise de l’Orient est posée sur le canal reliant Hangzhou à Pékin, canal d’eau douce pour un commerce intérieur. Tout le contraire de Venise, dont la lagune regardait l’Orient à son heure gloire.

 Suzhou, jardin (c) Yves Traynard 2009

Suzhou serait de manière plus vraisemblable, la ville du jardin chinois dont ma ville de Baoding conserve un rare exemple pour le nord du pays.
Les jardins constituaient le cadre spatial où s’élaborait la résidence aristocratique chinoise. Jardin paysager où les pavillons bas – les châteaux, manoirs, hôtels particuliers à étages n’avaient pas cours dans cette partie de l’Asie – entretenaient une harmonie avec une nature savamment (re-)crée souvent en référence à des textes du bouddhisme ou du taoïsme.
Chaque espace répondait autant à une fonction qu’à un « état » : la musique, la lecture, l’hiver, la réception, la fraîcheur, la réflexion.
Bassin aux lotus, rocailles, ponts, kiosques, cours, arbres délicatement taillés, la résidence est d’abord jardin contrairement à nos usages où le jardin n’est qu’un accessoire plutôt secondaire de l’habitat. Les pavillons en bois (réception, appartement…) s’intègrent harmonieusement à l’ensemble.
En bon voyageur français j’ai fait mon caprice-coup de gueule. Prenant prétexte d’un tarif exorbitant j’ai boycotté le plus prestigieux – celui du bien mal nommé « humble administrateur » à près de 8 € – et me suis rabattu sur deux jardins plus intimes, celui dit du « couple » et celui, plus ancien du « maître des filets ». Un mouchoir de poche dont l’extrême élaboration réussit à donner une impression d’espace et de fraîcheur. On aimerait savoir ce qui reste de cet art du jardin en Chine contemporaine, dans l’imaginaire chinois, mais aussi dans la vie quotidienne, les jardins publics, l’architecture. Comment se perd ou se transmet la tradition. Nouvelles questions.
 Suzhou, musée de Suzhou (c) Yves Traynard 2009On peut trouver un tout début de réponse au musée de Suzhou qui réinterprète sous une forme très contemporaine le jardin chinois. Ce musée vaut d’ailleurs surtout pour l’architecture signée d’un descendant de la ville, IM Pei, pas vraiment un inconnu puisqu’on lui doit la pyramide du Louvre.
Notons que ce dernier musée est gratuit, comme tous les musées nationaux, depuis un récent décret destiné à relancer la consommation intérieure par le tourisme. En dehors de ceux-ci l’entrée des sites est exorbitante. Au même niveau qu’en France ; il faut signaler que rapporté au niveau de vie chinois une simple entrée peut représenter une semaine de revenu d’un paysan du Yunnan !
Me voyant condamné à une visite au passé, je tente une échappée. Je prends un bus un peu au hasard. D’expérience plus grand est le numéro du bus plus il a de chance de vous éloigner du centre-ville. Le 309 me semble un bon chiffre ; je l’emprunte jusqu’à son terminus à 5 km du centre(*). On ne parle plus de Venise ici. Mais de logement, de supermarché, de chantiers, d’usine et de « non lieux » : espace de transit, échangeur, terrains vagues, chantiers ; d’êtres de chair et d’os pas de figurines en cire, de motivations bien humaines, pas d’une culture muséifiée.
 Suzhou, Grand canal (c) Yves Traynard 2009Poursuivant à pied, j’atteins des canaux animés d’un trafic qui n’a rien de gondoles vénitiennes. Où vont ces péniches, que charrient-elles, que produit-on ici qui mérite d’être transporté ? Ayant épuisé la Souzhou touristique et sentant bien que ce séjour tourne au voyage sans réponse il ne me reste qu’à quitter la sympathique auberge de Suzhou(**) et gagner Hangzhou par le dernier bus.


(*) Bus 309 jusqu’à son terminus. Franchir le pont, puis à dr. gagner le second pont. Belle vue sur le trafic du canal et sur un vieux pont en pierre (Baodai Qiao) remontant aux Tang.
(**) Suzhou Mingtown Youth Hostel. Dortoir 6 personnes. 4€. Depuis la gare, bus 202, arrêt, Guan Qian Street East. Beau mobilier.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « et une Venise, une ! ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2009/07/et-une-venise-une/>

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