Pékin
Pékin est la ville des enceintes imbriquées. Une façon pour les Chinois de se distinguer de l’autre, d’être dans l’entre-nous, dans l’intime. C’est cette même exigence de protection dont témoigne la muraille de Chine. Les enceintes de Pékin, construites autour de la ville de l’empereur sont elles-mêmes propres à alimenter tous les fantasmes, hier les intrigues impériales, aujourd’hui les rumeurs politiques. Au sud se trouvait la ville du petit peuple. Cet ordonnancement est finalement peu remis en cause. Les axes modernes semblent contourner ce « vide » central impérial et reproduire par des périphériques gigognes (2ème, 3ème 4ème, 5ème !) le rectangle original, avec très peu d’axes radiaux. Pour avoir longtemps respecté l’interdiction de dépasser la hauteur de la Cité interdite la ville est « anormalement » étendue. La capitale ainsi quadrillée est formée de gigantesques îlots où le piéton n’est pas le bienvenue, où tout se joue à l’échelle locale,dans des sortes de villages urbains, dans une logique de perpétuelle extension. Aujourd’hui les constructions remplissent progressivement l’espace entre le quatrième et cinquième périphérique. L’axe qui reste le principal est celui est-ouest qui marque la naissance en 1949 de la capitale communiste. Cet axe borde la place Tiananmen. Un espace urbain minéral qui forme la plus grande place au monde, à la gloire de l’empereur puis du communisme par une même logique de célébration du pouvoir.Thierry Sanjuan se lance ensuite dans une description du hutong, qui me rappelle les quartiers résidentiels des cités du désert dont je peux témoigner de Damas à Yazd, de Khiva à Kashgar. Maisons basses, façades presque aveugles sur rue, peu d’espace public, cour intérieure dérobée à la vue du passant. Mais comme Lucien Bodard notre conférencier « n’aime pas la Chine pour son folklore » et il est vrai que ces hutongs ont fait l’objet d’assez d’études. Plus originale fut la description des quartiers modernes qui constituent l’espace résidentiel contemporain des classes moyennes de la capitale. Des îlots cloisonnés par la verdure et les voies routières, inadaptés aux piétons, des espaces fermés, grillagés, ségrégés comportant leurs propres commerces voire un poste de police, un tribunal, un hôpital. Dans cet urbanisme la
tour est la norme recherchée et valorisée. Les étages les plus chers se situant à mi-hauteur.
Shanghai
Shanghai raconte une toute autre histoire. Création coloniale, même si elle ne comptait pas plus de 2 a 3 % d’étrangers elle eut ses heures de gloire au début du XXe s. se positionnant comme le premier pôle chinois de Chine et d’Asie. Elle fut tricéphale : française, internationale et chinoise, avec ses quartiers distincts étrangers et surtout chinois, une ville portuaire mais aussi ouvrière comme en témoigne la création du PC Chinois. C’est une ville à façade, avec son Bund (quai) qui remonte aux années 20-30, une métropole chinoise plus à même d’assimiler la modernité que Pékin. Considérée comme un foyer de bourgeois et de dépravation la ville fut muselée par le PCC jusqu’à ce que Deng Xiaoping en 1992 décide de promouvoir son développement. Jusqu’en 1980 la ville n’avait pour ainsi dire pas bougé. Ce renouveau qu’illustre la mise en valeur des quartiers centraux (surélèvement du Bund) mais aussi le formidable essor de la périphérie est favorisé par le fait que les cadres de Pékin des années 90 sont issus de Shanghai et ont à cœur de favoriser leurs réseaux. La métropole est en passe de devenir le premier port de Chine ; elle hébergera d’ailleurs l’exposition universelle de 2010. De son passé la ville a hérité des pratiques urbaines des années 20-30. A la différence de Pékin les piétons peuvent circuler dans le centre-ville. Un des axes majeurs de circulation a su se faire aérien. Face au Bund, Pudong est devenu l’espace où s’érige la modernité avec ses tours et bâtiments modernes, hélas pas toujours harmonieux. L’ancien champ de course s’est fait immense jardin public.La modernisation a chassé près de trois millions de Shanghaiens des lilong du centre vers la périphérie. C’est surtout en banlieue que ce plan traditionnel est reproduit – parfois jusqu’au pastiche – dans une orientation en barres nord-sud ceinturées de commerces. Pour s’aérer, la ville a entamé un ambitieux schéma directeur constitué du centre historique et de neufs périphéries.
(*) Maison de la Chine, Cycle de rendez-vous culturels
(**) Le site GeoChina de Thierry Sanjuan. Atlas de la Chine, les mutations accélérées, par Thierry Sanjuan, cartographie de Madeleine Benoît-Guyod. Paris, Autrement, 2007, 80 pages.
(***) Conférence du 17/11/2008 à 18H30. PEKIN ET SHANGHAI : DEUX ITINERAIRES DE VILLES VERS LA MODERNITE Thierry Sanjuan – géographe spécialiste de la Chine et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, a dirigé « Le Dictionnaire de la Chine contemporaine », Armand Colin, 2006.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Pékin et Shanghai ». ytraynard.fr 2025 [En ligne]. Page consultée en 2025. <https://www.ytraynard.fr/2008/11/pekin-et-shanghai/>