Oct 082008
 

J’ai revu hier soir Shanghai un nouvel Eldorado ? l’excellent reportage d’Aurélie Mandon consacré aux expatriés français de la métropole chinoise(*). Aurélie fait partie de ces jeunes femmes issues des meilleures écoles qui veulent donner un sens social à leur vie. Son film, recueil d’interviews, permet vraiment d’initier un débat non seulement sur la condition d’expatrié mais plus largement sur l’identité, le rapport à l’autre, notre compréhension sociale, culturelle d’une autre société dans une dimension à la fois individuelle et sociologique. J’ai essayé de distinguer à partir de ce qui était exprimé dans le film, ce qui relevait du contexte de Shanghai de ce qui me semblait caractéristique de l’expatriation en milieu non occidental.

Caractéristique de l’expatriation :

  • L’importance des repères liés à la nourriture
  • Le couple mixte (on en trouve dans tous les pays, ils ont souvent un rôle pivot dans la communauté)
  • La difficulté à nouer des relations ‘authentiques’ ‘comme on les aimerait’ avec la population locale ; quoiqu’en dise le bruyant agitateur de la soirée, je ne pense pas qu’il s’agisse seulement d’une question de volonté, il y a des freins réels liés au niveau de vie, à la culture, au rythme de travail, à la pression sociale (un Français expatrié représente sa société, son pays (personnel consulaire), et ne peut se permettre toutes les fantaisies), la nécessité de maintenir un réseau social français pour les enfants par exemple)
  • Les relations entre pouvoir/statut de l’expatrié et hiérarchies locales
  • La question du retour au pays, vu comme une angoisse latente ou au contraire une planche de salut

Spécifique à Shangai

  • L’importance numérique des communautés expatriées (qui rappelle celles de Singapour) et la relative déconnexion avec le monde chinois (Shanghai n’est pas la Chine)
  • L’environnement « moderne » voire post-moderne
  • La barrière (souvent perçue infranchissable) de la langue
  • L’importance de la fête et la jeunesse des expatriés
  • L’absence de famille accompagnant la catégorie d’expatriés filmée (enfants, trailing women…)
  • L’absence de passé colonial, passé auquel est confronté le Blanc en Afrique par ex.

Au cours de cette même soirée organisée par le Centre d’animation La Jonquière(**) François Picard dédicaçait son livre Ma Chine(***). S’il n’a pas l’allure d’un grand sportif c’est pourtant bien un exploit qu’il a réalisé. Non pour les milliers de kilomètres parcourus à vélo entre Urumqi et Hongkong (quoi qu’il faille déjà le faire !), mais pour cette capacité à questionner sans cesse l’autre, à accepter le divers, à ne pas sombrer dans la caricature ou la facilité, à croiser clichés et réalité, à interroger tout en s’interrogeant, à douter pour mieux dépasser les préjugés en les questionnant. Le résultat : 240 pages d’une écriture serrée pleines de rencontres qui font vaciller les certitudes dans une belle plume qui lui a valu une préface de Sylvain Tesson. Ce même Sylvain Tesson dont on me recommandait récemment le Petit traité sur l’immensité du monde. «Cul sur la selle, pensées au ciel» peut-on y lire. Mais l’écrivain-voyageur parlait de la selle de cheval où l’esprit n’a pas à fournir la concentration qu’exige la marche ou le vélo. Plus journaliste qu’écrivain François confie au trentième jour de voyage : «Malgré les apparences, je suis le moins libre des hommes, dépendant de la nature, des autres, de la chance».


(*) Aurélie Mandon , reportage Shanghai un nouvel Eldorado ? Présenté au festival ABM 2008.
(**) Centre animation La Jonquière, Paris 17e.
(***) François Picard sur le site de Culture Aventure qu’il anime. Ma Chine, Route de la Soie, Tibet, Hongkong à vélo. Les Landes. 2008. Editions Artisans-voyageurs de mes amis Paule et Arthur que j’avais rencontrés en Syrie en 1996 alors qu’ils parcouraient le monde à vélo.