Pourquoi l’art ne s’adresserait-il pas uniquement à la consommation immédiate ? L’idée de conserver des œuvres de cultures très lointaines, et de vouloir les transmettre à des cultures très lointaines, est particulière à la nôtre. Elle n’est pas, en tout cas, naturelle. Toute œuvre est prise étroitement dans le réseau des habitudes et des humeurs où elle est née, dans ce qu’on pourrait appeler (d’un terme que Dubuffet n’agréerait pas, mais que son discours implique) le système culturel qui l’a produit. Quand disparaissent ce système et les hommes où il s’est inscrit, les œuvres meurent également, sans parler de leur dégradation physique plus ou moins proche. « C’est mieux ainsi, c’est assez gentil cette mort, c’est gracieux. L’homme écrit sur le sable. Moi ça me convient bien ainsi ; l’effacement ne me contrarie pas ; à marée descendante, je recommence. » (1944, II, 232 1)

Les objets conservés par le Musée (ou les objets identiques à ceux-là) sont dès lors soumis à une valorisation intense qui fait du Musée le réceptacle de trésors sans prix. De quoi le cadre doré qui entoure les anciennes peintures est un bon signe : en circonscrivant la surface peinte, l’espace neutre du cadre nous signifie qu’il sépare l’art (au-dedans) du non-art (au-dehors), et la peinture dorée dont il est recouvert fait voir la valeur extrême du rectangle qu’il est chargé d’enclore(*).
1 : Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants (réunis et présentés par Hubert Damisch), Gallimard, Paris, 1967.
(*) Jean-Claude Lebensztejn, « L’espace de l’art », Zig-Zag , Flammarion, Paris, 1981, p. 22-23.
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Du musée ». ytraynard.fr 2021 [En ligne]. Page consultée en 2021. <https://www.ytraynard.fr/2010/07/du-musee-2/>