Mai 232010
 
J’ai piqué une grosse colère en découvrant un récit de voyage à travers la Chine sur Question Chine.net(*). J’ai tiqué en lisant que la ville de Baoding, où j’ai vécu un an comme lecteur de français à l’université, évoquait un « décor de film catastrophe ». Mais ce n’est pas tout. Les deux feuillets concernant cette ville et Shijiazhuang que je connais bien également étaient truffés d’erreurs et d’approximations ! Trouvant que trop c’est trop, j’ai donc pris ma plume pour rectifier le peu de vérité que je connaissais.
Il me semble que l’intention ne peut justifier tous les moyens, y compris stylistiques. Sur les questions chinoises, si l’on pense avoir quelque chose à apporter au débat par un exercice critique – et il y a beaucoup à dire effectivement – c’est certainement plus aux Chinois qu’aux Français qu’il faut s’adresser. Mais pour convaincre les habitants de ce vaste pays, faut-il encore être crédible. Les 70 millions d’habitants de la province du Hebei, même les plus critiques vis-à-vis de leur société, auraient bien du mal à gober un tel récit.

En italique le texte original, en gras mes commentaires.

Par yty
Les deux faces de la Chine (1ère partie).

Je rentre d’un séjour d’un an à Baoding où j’enseignais le français à l’Université du Hebei. Je me permets donc de commenter les premiers feuillets de ce récit de voyage.

Beijing – Baoding, 280 km

Très belle autoroute, revêtement parfait pas de circulation. Nous longeons le projet de grand canal, qui doit alimenter en eau la région de Pékin Les travaux sont manifestement stoppés. Plus d’ouvriers, pas de mouvements de camions. Les cimenteries aussi sont arrêtées Qu’insinuez-vous ? Avez-vous pu obtenir des informations et non des suppositions sur l’avancement des travaux ? Est-il choquant que des tranches de travaux sur un ouvrage de plus de 1000 km soient achevées avant d’autres ? A quel kilométrage de l’autoroute avez-vous aperçu ce canal ? S’agit-il bien de l’itinéraire central ? Avez-vous fait un détour qui justifie que les 140 km qui séparent Baoding de Pékin doublent dans votre décompte ? . Baoding, date de la dynastie des mings. Ancienne capitale provinciale, elle était reliée par des canaux à Tianjin. Lors de la guerre avec le Japon ces derniers avaient servi de tranchées pour l’armée rouge qui s’y était repliée. L’armée nippone avait eu du mal à l’en déloger.

Les vieilles murailles entourant la ville ont disparu, pas toutes, il en reste une partie, restaurée, au sud-ouest de la ville, contre le zoo. Les fossés remplis d’eau ont été conservés et sont progressivement nettoyés remplacées par les stigmates de l’industrialisation à marche forcée c’est à dire, je ne vois pas ? Les murailles ont été remplacées comme à Pékin ou Paris par des boulevards périphériques et le nouvel urbanisme chinois taillé au carré l’ancien urbanisme chinois était aussi taillé au carré, quel est votre problème avec le carré ?, à l’esthétique douteuse les gouts les couleurs…, moi je trouve l’urbanisme de Baoding plutôt original, varié, coloré et surement beaucoup plus soigné que celui de nombre des banlieues françaises. La ville se veut la « capitale chinoise du solaire ». De fait, la nouvelle vague écologique et le mimétisme commercial des Chinois aidant, la capacité de production de panneaux solaires de cette région est aujourd’hui deux fois supérieure aux besoins du marché mondial. Ah ? Ils seraient vraiment cons ces Chinois. D’où tenez-vous vos chiffres ? Moi je n’ai trouvé que cela : les industriels chinois en passe de dominer le marché mondial.

Baoding est en fait une ancienne base industrielle militaire reconvertie dans les panneaux solaires, financés par des sociétés offshore, mais toujours contrôlées par l’armée chinoise. On y fabrique aussi des matériaux synthétiques entrant dans la composition d’armes vendues dans le monde entier, notamment dans les zones de conflit j’espère que vous êtes aussi intraitable et pointilleux avec l’industrie de l’armement français !.

Le nuage de pollution qui plane au dessus de la ville donne au paysage l’aspect d’un décor de film catastrophe. Vraiment ? Pour avoir habité un an dans cette ville, je peux assurer que la durée d’ensoleillement y est plus importante qu’à Paris. Il ne faut pas confondre brouillard et pollution même si l’un aggrave l’autre. Je n’ai jamais eu le sentiment de vivre dans un décor de film catastrophe. D’autre part, la ville possède un plan d’urbanisme rigoureux et est aux antipodes des villes de pays en développement. L’air de la ville n’est certainement pas exemplaire en qualité mais il s’est beaucoup amélioré de l’avis même des habitants, grâce à la fermeture de l’usine qui produisait les films photographiques Lucky. Personnellement, j’ai trouvé que Baoding était une ville agréable où il fait bon vivre. Toutes les voies sont arborées et comportent de part et d’autres de larges pistes cyclables, très utilisées. Comme dans toutes les villes chinoises, les motos – cette plaie sonore de nos villes et de l’Asie du Sud-est – y sont interdites. Comme ailleurs en Chine, on y trouve une très forte densité de vélos, électriques ou non. Pour une ville d’un million d’habitants, on y circule plutôt bien. Le système de bus est particulièrement pratique, efficace et bon marché. Les taxis n’y sont pas un luxe comme en France. L’achèvement récent du troisième « périphérique » devrait améliorer la fluidité. Concernant le solaire, la ville a fait de nombreux efforts. Ca a presque l’air de vous chagriner. Pratiquement tout l’éclairage public ainsi que la signalisation marchent au solaire, par des petits capteurs posés sur les équipements. Tout cela fonctionne remarquablement bien et ne souffre pas de vandalisme. De nombreux immeubles récents sont équipés de panneaux, mais ça on le voit aussi dans toutes les régions jusqu’au Yunnan. Enfin, sur le plan historique, Baoding n’a pas tout sacrifié au modernisme. Elle a conservé, entre autres, sa mosquée du XVIIe s, son grand temple bouddhique, sa tour de la cloche, son jardin du Lotus – l’un des plus anciens jardins de Chine du Nord – son église de 1905, et l’immense palais à cours du gouverneur. Tous ces édifices sont ouverts à la visite et rendus au culte.

puce Site indiqué : Les traces de l’ancienne Baoding

Par yty
Les deux faces de la Chine (1ère partie).

Baoding – Shijiazhuang, 150 km

Toujours la même autoroute, avec en prime une vue sur les montagnes de l’Ouest totalement détruites vous n’avez pas un peu l’impression d’exagérer ? par des carrières de matériaux de construction, qui, depuis 50 ans, alimentent la province du Hebei et la capitale. Shijiazhuang ne comptait plus que 1000 habitants en 1900, dont 20 français qui construisaient avec des belges, la future ligne de chemin de fer Pékin Wuhan, financée par l’emprunt russe. Évidemment, Shijiazhuang est une ville nouvelle des années 50, qui doit son essor à son élévation au rang de capitale provinciale du Hebei vers 1970. La ville historique se trouve à 30 km au nord. Elle s’appelle Zhengding. Conservée, restaurée, parfois reconstruite à l’ancienne, elle est devenue le fleuron du tourisme régional. Elle possède une bonne partie de ses murs et sa porte sud ainsi que plusieurs très belles pagodes et temples.

Elle aussi a subi les affres de la modernisation sans scrupules heureusement que l’on a modernisé sans scrupule la ville des années 50 qui n’était guère reluisante, d’autant que la ville compte 10 millions d’habitants avec sa banlieue désormais ! Devenue un nœud ferroviaire et routier au cœur d’un réseau emprunté par les interminables convois de charbon venant des deux provinces minières du Shanxi (capitale Taiyuan) et du Shaanxi (capitale Xi’an), Shijiazhuang a remplacé ses pagodes et ses deux lions de bronze pour les pagodes, voir Zhengding par d’imposantes centrales électriques qui alimentent les grands centres urbains du nord et de l’est. La production de coton, fierté de la province il y a encore 30 ans, a périclité, à cause du manque d’eau vu les cours mondiaux du coton, je trouve plutôt intelligent d’avoir sacrifié cette culture gourmande en eau au profit de la population et de l’industrie.

En conclusion, je trouve ce récit très mal informé et absolument pas documenté, ce qui me fait douter de l’honnêteté des feuillets à venir. Je n’ai pourtant aucune vocation à défendre la Chine, mais il me semble que les Chinois méritent autre chose que ce ton ressasseur et méprisant. Oui, la Chine a des défis majeurs environnementaux, sociaux, politiques à relever, elle le sait et n’a pas besoin de nos caricatures grotesques. Question Chine.net nous a habitués à des articles plus sérieux que de vagues impressions de voyage mal documentées.

puce Site indiqué : quelques photos de Zhengding


(*) Les deux faces de la Chine (1ère partie), Question Chine.net, 12 mai 2010, François Danjou avec B. De Lalande.