Nov 202009
 

Alexndrie, Plaques sur la maison de Constantin Cavafy (c) Yves Traynard 2008Alexandrie est à l’honneur dans Carnet nomade qui entretient toujours ses papes de la nostalgie(*). Aujourd’hui c’est Olivier Poivre d’Arvor qui s’y colle, et ses efforts pour apprécier la ville contemporaine sont vite noyés dans l’épaisseur du mythe. Le poème tendre et désespéré de Cavafy, La ville, donné en ouverture dans la traduction de Dominique Grandmont est une bonne opportunité pour faire de la traduction comparée.

LA VILLE
Tu as dit: « J’irai par une autre terre, j’irai par une autre mer.
Il se trouvera bien une autre ville, meilleure que celle-ci.
Chaque effort que je fais est condamné d’avance ;
et mon cœur – tel un mort – y gît enseveli.
Jusqu’à quand mon esprit va-t-il endurer ce marasme ?
Où que mes yeux se tournent, où que se pose mon regard,
je vois se profiler ici les noirs décombres de ma vie
dont après tant d’années je n’ai fait que ruines et gâchis ».
Tu ne trouveras pas d’autres lieux, tu ne trouveras pas d’autres mers.
La ville te suivra partout.
Tu traîneras dans les mêmes rues. Et tu vieilliras dans les mêmes quartiers ;
c’est dans ces mêmes maisons que blanchiront tes cheveux.
Toujours à cette ville tu aboutiras. Et pour ailleurs – n’y compte pas –
Il n’y a plus pour toi ni chemin ni navire.
Pas d’autre vie : en la ruinant ici,
dans ce coin perdu, tu l’as gâchée sur toute la terre.

Gallimard, Paris, 1999. Traduction du grec de Dominique Grandmont, p. 49.

LA VILLE
Tu as dit : « J’irai dans une autre terre, sur une autre mer. Une autre ville surgira meilleure que celle-ci. La fatalité condamne, ici, tous mes efforts ;et mon cœur – tel un mort – gît enterré. Jusqu’à quand mon esprit restera-t-il dans ce marasme ? Partout où je dirige mon regard, partout je ne vois que les noir décombres de ma vie, ici où j’ai passé tant d’années, tout détruit et tout ruiné »
De nouveaux lieux, tu n’en trouveras point, ni d’autres mers. La ville te suivra : dans ces mêmes rues tu rôderas, Dans ces mêmes quartiers tu vieilliras Et sous ces mêmes toits blanchiront tes cheveux. Toujours à cette ville tu aboutiras. Quant à aller ailleurs – Plus d’espoir – point de bateau pour toi, point de route. Comme tu as ruiné ta vie en ce petit recoin, Sur toute la terre tu l’as aussi détruite.

Les Belles Lettres, Paris, 1958. Traduction du grec de Georges Papoutsakis, page 55.

LA VILLE
Tu dis : «J’irais vers d’autres pays, vers d’autres rivages. Je finirais bien par trouver une autre ville, meilleure que celle-ci, où chacune de mes tentatives est condamnée d’avance, où mon cœur est enseveli comme un mort. Jusqu’à quand mon esprit restera-t-il dans ce marasme ? Où que je me tourne, où que je regarde, je vois ici les ruines de ma vie, cette vie que j’ai gâchée et gaspillée pendant tant d’années.»
Tu ne découvriras pas de nouveaux pays, tu ne découvriras pas de nouveaux rivages. La ville te suivra. Tu traîneras dans les mêmes quartiers, et tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons. Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n’existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N’espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l’as gâchée dans ce petit coin de terre.

Gallimard-Poésie, Paris, 1994, Traduction du grec de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras, page 93.

(*) Voyages pour grands et petits, Carnet nomade, France Culture, émission du dimanche 22 novembre 2009.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Une ville, trois traductions ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2009/11/une-ville-trois-traductions/>

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