Juil 172008
 

Montregard, Vaches (c) Yves Traynard 2008Le tourisme rural se porte plutôt bien en France. Mais est-il un tourisme tourné vers le présent, vers les réalités de l’agriculture contemporaine ?
Pour qui veut se délasser au vert l’offre est conséquente : gites ruraux, camping, randonnées… il existe même depuis quelques années des fermes pédagogiques (à destination des enfants) et des fermes découverte pour les adultes(*).
Mais l’offre de ce tourisme rural possède de curieux biais pour qui voudrait en profiter pour approcher la réalité de l’agriculture contemporaine.

  • Le secteurs « nobles » sont sur-représentés. Sont volontiers ouverts à la visite les mielleries, les caves à vin, les alpages, les fermes équestres, les plantes médicinales, le bio, mais on ignore soigneusement les cultures intensives, les abattoirs, les filières et les politiques agricoles… c’est à dire l’essentiel du volume !
  • Le plaisir est une dimension majeure qui finit par l’emporter sur le but de la visite et de la connaissance : c’est le royaume de la dégustation et des décors rustiques où l’on rivalise en fromage, petits vins, jougs de bœufs, pierre apparente et géraniums. Le choix même du terme de « festibalades » pour désigner ces découvertes est significatif,
  • L’arrière-pensée commerciale nécessaire – car ces visites la plupart du temps sont gratuites – s’exprime aussi au détriment de toute objectivité ou mise en contexte.

On m’objectera à raison que l’on n’est pas en vacances pour faire cure d’austérité, que des produits qui plaisent ont plus de chance d’arrondir le chiffre d’affaires d’un agriculteur qu’un maïs grillé estampillé OGM. Evidemment. Mais puisque l’on parle de tourisme de découverte il peut paraitre intéressant d’en souligner les limites. Car dans ce tourisme on oscille entre l’agriculture idéalisée du passé (saveurs à l’ancienne, décor…) et l’agriculture d’un futur improbable mais que l’on voudrait proche (produits plus sains, rapport directs avec l’agriculteur…). Dans ce réenchantement, la réalité de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, elle, passe totalement à la trappe.
Le tourisme industriel est, et à peu près pour les mêmes raisons, une mascarade de connaissance qui évite soigneusement de montrer les grands pôles de l’industrie : on présente abondemment le tissu moribond industriel du 19e s., les réalisations de pointe ou de luxe (aéronautiques, parfums) ou plus souvent encore l’artisanat et on s’évite ainsi d’évoquer la chimie, l’automobile et les questions sensibles tels que les déchets, les délocalisations … Le secteur des services, lui, n’est pas du tout ouvert à la visite. Demandez à voir comment se fabrique un produit d’assurances ou comment se gère un sinistre !
Qu’on ne lise pas ici ce que je n’ai pas écrit. Je n’ai rien contre les apiculteurs, les chevaux ou les artisans. Je fais seulement le constat d’un biais supplémentaire qu’introduit le tourisme dans notre perception du monde.
Les promoteurs de ce tourisme ne sont d’ailleurs pas dupes. Dans un numéro du magazine du conseil régional d’Auvergne j’ai relevé cette interrogation autour du risque d’overdose d’authenticité frelatée scénarisée : Reste à savoir si la redondance géographique du procédé ne déroutera pas le touriste et si ce genre de projets n’ira pas, à terme, à l’encontre de l’image d’authenticité qui est l’un des atouts originaux de la destination Auvergne… Face à un tel questionnement, l’écrivain Guy Debord apportait ainsi sa réponse : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. » C’était en 1967… dans un ouvrage au titre prémonitoire : La Société du spectacle. D’ailleurs, pour se tenir à l’écart de cette déferlante, le poète-cinéaste s’était retiré en Auvergne, à Champot.(**)


(*) Quelques agents du tourisme rural :
– A la découverte de la ferme en Ile-de-France, …sur le site de la chambre d’agriculture de l’Ile de France,
Bienvenue à la ferme.
(**) Le magazine Miam de l’Auvergne en Mouvement. Miam n°2, juillet 2005. p. 14. Quand l’Auvergne se raconte au passé. Quels produits proposer aux touristes ? Les recettes mettant en scène l’Auvergne du “bon vieux temps” se multiplient. Et le public est au rendez-vous.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Entre passé et futur, les biais du tourisme rural ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/07/entre-passe-et-futur-les-biais-du-tourisme-rural/>

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