En fin d’après-midi je me suis rendu au Sénat. On s’y raidit spontanément en franchissant le seuil tant l’allure solennelle rappelle qu’avant d’être République la France fut monarchie. Je me rendais à l’invitation du groupe sénatorial France-Syrie(*) ou plutôt à celle de Françoise Cloarec(**), psychanalyste, peintre et ce soir surtout écrivain pour la présentation de son dernier ouvrage « Désorientée, le routes incertaines »(***).
Françoise et la Syrie c’est une passion. De celles qui a fait nos chemins se croiser. Mais une passion qui cherche sa raison, qui interroge et décèle des réponses dans l’art et la psychanalyse.
Le discours d’introduction de Philippe Marini, président de l’auguste groupe sénatorial reflétait le malaise actuel entre la France et la Syrie. Son long rappel historique trahissait le vide du présent. En gros, oui la France a un long passé en Syrie, beaucoup de liens ont été tissés, mais aujourd’hui c’est le point mort. Gardons le contact pour des jours meilleurs. L’actualité du jour, deux attentats à Beyrouth la veille de la commémoration de l’assassinat de Rafic Hariri, offrait on ne peut meilleur rappel de l’anathème qui pèse sur la Syrie.
« La Syrie est l’objet de tous les fantasmes… et pourtant la plongée dans le pays conduit à une autre vision. Il est prudent de ne pas identifier le régime d’un pays avec sa réalité, son histoire, sa culture et ses habitants. » Des mots qui font du bien quand tant de peuples subissent la double peine : supporter un régime qu’ils n’ont pas choisi et être au ban des nations. Se démarquant clairement du contexte politique, l’oeuvre de Françoise plonge ses racines non dans l’histoire immédiate mais dans celle de l’humanité. Celle du coeur, de la culture, celle aussi qui voyage à la recherche de l’autre et de soi, prolongement d’un voyage en Orient qui dure depuis des siècles.
« En Syrie on est toujours dans le fondamental […] le temps et la terre y entretiennent des rapports particuliers […] On peut toucher l’histoire de l’humanité. La Syrie est aussi un voyage de l’intérieur […] nous ne savons jamais ce que nous portons d’étranger en nous [et ce livre est là pour] mettre des mots sur le moment où la tension entre nos plus proches et nos plus lointains s’exacerbe. […] Dans la laideur quelque chose fait peur mais dans la beauté aussi. […] La statue aux grands yeux du site de Mari est devenue porteuse d’une énigme inaccessible. […] Qu’est-ce que cela représente de quitter son univers quotidien, devenir étranger à sa langue, et devenir celui ou celle qui voit ? Les odeurs, les couleurs, l’imaginaire prennent une autre intensité. Des chocs émotionnels, dus à des perceptions nouvelles, ressurgissent d’anciennes émotions. Que se passe-t-il au moment où le regard sur l’esthétique finit d’être un plaisir ? » Ainsi questionne Françoise dans cette langue intense qui caresse et déstabilise à la fois.
Au Louvre, parcelle d’Orient, Françoise croise souvent le regard de l’intendant Ebih-Il. A l’issue de la présentation, celle qui bichonne la statue qui hante les toiles de Françoise au Département des Antiquités Orientales nous a livré une clef de lecture de « Désorientée » en forme de rose des vents baignée d’ombre et de lumière avant les retrouvailles autour d’un généreux mezzé.
(*) Le groupe sénatorial France-Syrie anime le portail http://www.lasyrie.fr/
(**) Biographie, bibliographie et plusieurs toiles sur le site de Françoise Cloarec
(***) Désorientée – les routes incertaines, Préface Gérard Oberlé, Chez l’Harmattan, 147 pages, 13€50. ISBN : 2-296-00883-6. Notice.
« Dans le monde d’aujourd’hui, aux images mondialisées, le voyage, produit de consommation courante, vend l’aventure promotionnelle avec un argument : il ne se passera rien. Les retards, la perte des bagages, les annulations, les maladies sont prévues par les assurances optionnelles ou obligatoires. C’est efficace, bien souvent, il ne se passe rien. Pourtant, le monde est encore rempli de brèches et de failles qui font parfois résonner les brèches et les failles du voyageur. Et lorsque, dans un musée d’orient silencieux et poussiéreux, les statues soudain vous regardent, c’est l’ailleurs qui revient sous la forme d’un trouble que certains appellent Syndrome de Stendhal, Conversion esthétique, ou , Sentiment océanique. Ce texte est le récit de deux voyages qui se superposent. L’un a été vécu et oublié, l’autre se vit sur un divan qui ressemble à celui d’un psychanalyste. «
(****) Notice du Louvre sur l’intendant Ebih-Il (cf. photo)
Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Désorientée, les routes incertaines ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2007/02/desorientee-les-routes-incertaines/>