Sep 222010
 

Que ce soit pour vanter une destination ou l’activité qu’on y pratique, le tourisme se pare d’un discours toujours positif, fait de promesses d’un bonheur instantané, de rêve illimité, d’intense épanouissement personnel.

Lorsqu’ils se réunissent en conclave, les professionnels tiennent un tout autre langage sur le monde qu’ils nous vendent. Il suffisait de se rendre au salon professionnel du tourisme cette semaine(*) pour en juger et constater à quel point nous vivons dans un monde de faux-semblants, où l’emballage fait le produit et même le client !

Un monde à vendre

Certes, cette manie est vieille comme le commerce (vendre c’est d’abord faire rêver) mais elle affecte désormais tous les secteurs (marchand ou non, matériel et immatériel) et a pris des proportions délirantes à partir des Trente Glorieuses et l’omniprésence de la publicité. Quel discours tiennent les pros du secteur, patron de T.O., presse et syndicats professionnels ?
A leurs lunettes, notre bel eden estival, notre inaliénable libre-arbitre, tous ces peuples du Sud qui ne désirent que nous faire partager leur monde ne sont que part de marché, concurrence féroce, réduction des coûts, conquête de nouvelles destinations, conception de nouveaux produits…

Lors du débat où étaient présentées les dernières statistiques du CETO on apprenait(**) :
– que notre liberté de déplacement est sévèrement sous contrôle. Les TO détestent les compagnies low-cost qui détournent leur clientèle captive des forfaits «all inclusive». Le Maroc, par ex., a subi une forte déforfaitisation, du moins en %.
– la liberté de choix est toute relative
En matière de tourisme « l’offre fait la demande »[dixit], à savoir, ce qui fait une destination, ce n’est pas le désir du client, mais le travail conjoint des pays récepteurs et des TO.
L’exemple récent le plus édifiant est sans doute celui de la République dominicaine qui en quelques années est parvenue à capter 400 000 touristes français. La Croatie est un autre exemple, tandis que d’anciennes destinations peuvent être brutalement sinistrées à cause d’une instabilité (Madagascar), d’une épidémie (H1N1 au Mexique) ou simplement d’un désintérêt (les Antilles éclipsées par la République Dominicaine). Bonjour les impacts socio-économiques et environnementaux de tels virages à 180°, pour ces destinations livrées aux lois du marché touristique.
Vu sous cet angle macroéconomique, le tourisme de masse balnéaire apparait comme la recherche du moindre coût, la délocalisation d’un service, le loisir de mer.

Après ça, comment croire que le monde n’est pas une marchandise de plus à vendre ?

Toujours plus loin !

Et cet appétit ne semble pas devoir se calmer. Que nous réservent les prochains catalogues ? La Sardaigne serait la seule destination méditerranéenne peu développée. Les trois dernières, Albanie, Libye et Algérie, étant dans l’incapacité, malgré leur potentiel, d’aligner une offre conséquente et de qualité.
Malgré les contraintes de carburants (un peu moins pressantes depuis la crise financière), les touristes français traditionnellement frileux (ils sortent peu de l’hexagone et, lorsqu’ils
en sortent, préfèrent rester entre eux dans des environnements francophones) semblent aller toujours plus loin. L’Asie continue de progresser. Thaïlande, Chine et Hong-Kong en tête, mais se profilent la Malaisie, l’Indonésie (Bali) et le Sri-Lanka dans les nouveaux paradis à vendre. Y aurait-il un effet Bettencourt dans cet appétit d’île « exotique » ? Un syndrome Aros ?

Partez vraiment !

Pour illustrer ce billet, j’avais trouvé une excellente photo. Contre la façade du foyer de travailleurs africains, rue de la Fontaine au Roi, trônait l’immense affiche publicitaire de Transavia dont la signature est « Partez vraiment ! » . La filiale d’Air France, qui participe aux reconduites aux frontières tout en vivant grassement des billets achetés par les migrants qui vont et viennent au pays, s’était visiblement rapprochée de ses clients, sans double langage cette fois. Rapprochée trop dangereusement. Le temps que je revienne sur les lieux muni de mon appareil photo, l’affiche avait été retirée.


(*) IFTM Top Resa : le salon professionnel du tourisme en France – 21 au 24 Septembre 2010. Conférence 10 ans d’évolution des destinations préférées des Français.
(**) Le Palmarès sera publié dans un prochain numéro de l’Echo touristique.


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « IFTM, un monde en vente ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2010/09/iftm-un-monde-en-vente/>

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