Jan 102008
 

Curieux récit de voyage que nous livre Constantin de Slizewicz(*). En 99-2000, âgé alors de 23 ans, cet étrange missionnaire, retrouve les traces de tibétains chrétiens et livre quelques années plus tard sa vision du Tibet dont il est tombé amoureux. « Voilà donc le Tibet que j’ai vu, réalité en flagrante contradiction avec les visions idéalisées et aseptisées de l’Occident, de Pékin et de Dharamsala. Voilà donc ce peuple inouï, naïf et brutal, fervent, insolent, crasseux et magnifique. Enfin un monde vrai, réel, humain, en chair et en os, si différent des nuées fantomatiques vaguement anthropomorphes qui peuplent les mégapoles climatisées » nous livre-t-il en conclusion (p.285). De ce voyage il veut témoigner des derniers horizons d’un Tibet sauvage avant sa modernisation. Une vision pas toujours politiquement correct et plutôt discret sur les nombreux évènements dramatiques survenus depuis 1959.

  • Reprenant à son compte les mots de David Alexandra-Néel « les lamas sont parfois une caste odieuse » il ajoute « Ici, le bouddhisme tibétain a hissé la simonie au niveau d’une mafia locale. »
  • Le clergé tibétain lui inspire le plus profond dégout. « Les moines ne font rien ; leur argent vient du racket religieux organisé de tous ces braves bœufs de Tibétains qui les nourrissent… parasitent les travailleurs han ou hui, et osent encore mendier de leurs doigts boudinés en marmonnant leurs mantras… » (p. 282)
  • Il raconte comment les pères missionnaires du siècle dernier ont recruté des fidèles en les affranchissant du régime féodal des lamas, convertissant des esclaves en leur promettant de régler leurs dettes ou celles de leur communauté asservies (pp. 192-193)
  • Plus surprenant encore, de passage à Henan Monguzhu il rapporte : « Les affiches, photos et images du pape de la religion lamaïste tibétaine, quoique prohibées par le gouvernement de Pékin, ne se comptent plus. » (p. 263)

Enfin il s’en prend aux touristes occidentaux. « Xiahe est, pour celui qui ne peut pas se payer le coûteux voyage de Lhassa, la vitrine officielle et folklorique du bouddhisme tibétain. Lorsque nous arrivons, Xiahe est donc devenu le rendez-vous de tous les touristes occidentaux désireux de s’immerger dans cette culture réputée incomparable. Xiahe, c’est quelques milliers de moines, de nombreuses boutiques, qui, comme à Lourdes, proposent toutes sortes de bouddhacotilles, le monastère de Labrang, des bars internet, des guest-houses estampillées Lonely Planet où l’on parles anglais et où l’on sert pancakes et milk-shakes à toute heure. Xiahe c’est aussi un ramassis de touristes japonais, d’aventuriers néo-zélandais, de bouddhistes danoises ou de couillons français qui s’enchantent d’un tour au temple, de quelques achats de chapelets et autres verroteries, et d’une discussion avec des lamas « vraiment sympas » […] Tel est le voyage organisé de ces touristes occidentaux en mal de spiritualité facile et d’authenticité tibétaine à portée de main.« (pp. 246-7)


(*) Les peuples oubliés du Tibet. Constantin de Slizewicz, Perrin, Coll. Asie. Perrin. 2007.
(**) Le site personnel de Constantin de Slizewicz .


Pour citer cet article (format MLA) : Traynard, Yves. « Les peuples oubliés du Tibet ». ytraynard.fr 2024 [En ligne]. Page consultée en 2024. <https://www.ytraynard.fr/2008/01/les-peuples-oublies-du-tibet/>

  One Response to “Les peuples oubliés du Tibet”

  1. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt ce remarquable reportage, loin des sentiers battus, qui se double d’une vraie recherche historique.
    Si, à plusieurs reprises, Constantin de Slizewicz ne peut masquer son inquiétude face aux menaces de disparition d’un Tibet sauvage, il ne sombre pas pour autant dans un romantisme nostalgique, caractéristique des exilés tibétains antichinois. La question n’est pas de savoir si les Tibétains auraient le droit ou non, comme tous les autres peuples, d’accéder à la modernité. Le véritable enjeu est de concilier l’ouverture au monde d’aujourd’hui avec le maintien de la culture séculaire.
    A ce propos, je me permets de conseiller la lecture de « Mon combat pour un Tibet moderne. Récit de vie de Tashi Tsering » (éditions Golias, 2010), ouvrage que j’ai traduit de l’anglais. Tashi Tsering est un Tibétain hors du commun : né en en 1929 dans un village où régnait l’analphabétisme, sa vie est une suite de péripéties dramatiques et passionnantes ; âgé aujour’hui de 83 ans, vivant dans un modeste appartement de Lhassa, il continue à se battre pour que chaque petite Tibétaine et chaque petit Tibétain puisse apprendre le tibétain, mais aussi le chinois et l’anglais : il a fondé plus de cinquante écoles sur le Haut Plateau.
    André Lacroix
    andre.lacroix@base.be

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