Mai 182007
 

Sitôt arrivé en Indonésie, j’ai dressé l’inventaire de ce qui donne au voyageur le sentiment d’être dans un pays en développement. Il est important de fixer cette matière sitôt franchie la frontière avant que l’oeil ne s’y habitue au point de ne plus les distinguer.

LES TRANSPORTS

  • La qualité médiocre des infrastructures routières : la Trans-Sumatran Highway, artère principale de Sumatra est une deux voies sinueuse ; en ville les bas côtés sont souvent non stabilisés ; la signalisation est quasi inexistante ; les piétons doivent se résigner à se faufiler entre voitures, égouts, trottoirs défoncés, …
  • Les trishaw utilisés «pour de vrai» et non pour le seul amusement des touristes comme à Malacca, au point que la plupart sont motorisés
  • Les manquements manifestes au code de la route
  • Les SOTRAMA à la malienne où l’on s’entasse à la dure
  • L’importance du parc de motos par rapport aux voitures
  • le casque du motard «optionnel»

LA VILLE

  • L’habitat rarement en dur
  • L’absence apparent de plan d’urbanisme ambitieux qui se traduirait par une mise en scène de la ville (artère monumentale, grandes places…
  • La pollution : gaz d’échappement, décibels…
  • Le manque généralisé de maintenance que ce soit des voitures, des bus, des logements, des boutiques…
  • L’hygiène : toilettes publiques ou de restaurant, poubelles, eau non potable, ordures un peu partout…

LES HOMMES

  • Les fumeurs dans les lieux publics et les transports en commun
  • Les nombreux «hello mister», les questionnements naïfs
  • La «prise en charge» des touristes qui vire à la main forcée
  • Les policiers aux comportements négligés (affalés sur les guichets, débraillés…)
  • La mendicité, les sans-abris
  • Les visages fripés, les mains usées
  • L’habillement de seconde qualité, élimé
  • L’importance du commerce informel et de rue
  • Le travail dans les ateliers plus bricolé que réalisé selon l’état de l’art et avec les outils appropriés
  • Les centres commerciaux encombrés de badauds sans pouvoir d’achat, l’absence de caddies, les paniers au trois-quart vides
  • L’anglais rarement pratiqué

Il y a certainement plein d’autres éléments notables et chaque voyageur retiendra ceux qui lui parlent. Dans un voyage au présent il serait important que cet inventaire soit dressé par les voyageurs mais aussi comparé, analysé, situé. Ce que voit un voyageur est forcément très partiel. Il n’a pas accès à de nombreuses facettes de l’administration, des entreprises, aux chiffres de l’économie ou encore au secteur social (santé, éducation).
Malgré cela, à première vue, l’écart entre la Malaisie et l’Indonésie parait aussi important qu’entre Singapour et la Malaisie ce qui parait corroborer les chiffres du PIB et de l’IDH. Mais c’est aller vite en besogne si l’on base son observation sur une seule ville. Medan bien que 3e ville du pays après Jakarta et Surabaya reste isolée dans le vaste ensemble rural et relativement pauvre de Sumatra comparé à Java. Enfin et surtout il faudrait analyser ces signes et non s’y tenir et compléter des éléments non visibles par le touriste. Il faudrait trier dans cet ensemble ce qui est cause, conséquence ou simple attribut du sous-développement. Quelques exemples.
L’artisan dont on dira hâtivement qu’il travaille n’importe comment ou du moins sans efficacité. Pourquoi agit-il ainsi : formation, méconnaissance de l’état de l’art, absence de concurrence, faible exigence de la clientèle, absence de moyens pour investir, manque d’expérience ou de situation exemplaire dans lequel il pourrait se projeter, frein culturel ?
Autre exemple. Le fait de fumer dans les lieux publics n’est pas en soi un attribut de sous-développement économique, pas plus que le port du casque où la présence d’artères monumentales ou d’une capitale rutilante. Pourtant ces signes sont souvent corrélés. Font-ils partie d’une mise en scène de pays qui veulent afficher leur niveau de développement réel ou souhaité ?
De ces constats je conclue qu’un passeur de sens est indispensable pour accompagner un voyage au présent. Le simple inventaire de signes relevés par les guides de voyage avec humour voire condescendance n’est pas vecteur de connaissance. Les populations concernées méritent certainement mieux.
Quelle forme pourrait prendre ce passeur ? Guide en chair et en os, livre, vidéo… Quelle que soit sa forme on imagine déjà la complexité et la diversité de ce qui lui sera demandé !