Jan 212009
 
Ce jour est à marquer d’une pierre blanche pour le tourisme du Réel que je défends. Pour la première fois, à ma connaissance, un tour-opérateur majeur (Nouvelles Frontières) inscrit à ses programmes de voyage la découverte de la société locale contemporaine.

Je dis bien de la société et non de la culture ou du patrimoine. Certes depuis longtemps les touristes en groupe ne se sont pas gênés pour questionner les thèmes désormais offerts à la curiosité des clients de NF : la vie au quotidien, le travail, le rôle de la femmes dans la société, l’éducation, etc… mais clairement hors-programmes ces questions étaient traitées à la discrétion du guide(*). Elles intègrent désormais explicitement le produit touristique comme un service au même titre que la visite commentée des pyramides de Gizeh ou de la chapelle Sixtine.
D’où vient ce subit engouement ? Probablement pas de mes écrits insistants – qui tardent à être publiés – mais du tourisme alternatif. La nouvelle identité de marque «Nouvelles Frontières, Nouvelles Rencontres» surfe sur la mode du tourisme responsable au point d’en singer les slogans. Sur un site dédié à la campagne(**), l’habillage marketing de cette nouvelle identité NF s’approprie les classiques accroches à la mode chez les concurrents associatifs : authenticité (« pour dépasser les clichés et les rencontres folkloriques »), rencontre de l’autre et sortez des sentiers battus, mots d’ordre censés faire du touriste un voyageur selon le Routard ; et une façon au passage pour NF de contrer la critique du touriste-mouton cible du guide potache.

Le « nouveau concept » investit séjours et circuits, les deux gammes classiques de tout voyagiste.

Dans les Hôtels clubs du groupe (Les Paladiens) il y aura désormais dégustation et démonstration de produits locaux, initiation à l’artisanat local, cours de cuisine, rencontres sportives avec l’habitant, moyennant un supplément que l’on promet abordable et le rendez-vous avec le pays où l’on abordera les fameuses questions de société. On notera que cette dernière initiative se met en place prudemment.
– Elle n’est proposée qu’avec certains séjours,
– Ne se déroule qu’une fois par semaine,
– Enfin, les thèmes cités sont les classiques auxquels les guides étaient de toute façon sommés de répondre ; on évite ainsi soigneusement ceux qui fâchent : politique, religion… quoi que, d’expérience, la question de la femme est en général une épreuve pour le guide sur pas mal de destinations !
A ce propos, il serait intéressant de savoir si une qualification complémentaire est exigée des guides et conférenciers pour assumer ce nouveau service. Cette profession est généralement très encadrée. Il est imposé des diplômes, des références pour commenter l’art ou l’histoire. En sera-t-il de même pour parler de société ou n’importe qui pourra s’improviser expert ? Car si confondre Osiris et Horus sur un bas-relief n’a pas grande conséquence pour l’avenir de l’Égyptien de la rue et d’une hypothétique « rencontre » avec le touriste il est moins sûr qu’une présentation fallacieuse ou enjolivée, partisane, mal documentée d’enjeux de société n’ait pas des répercutions plus sérieuses y compris sur l’image d’un territoire et de sa population. Une société se décrit entre autres à partir de faits sociaux quantifiables qui ne s’improvisent pas plus que la datation d’un monument. Et ce serait mépriser les sciences humaines (sociologie, économie, politique…) et leurs spécialistes que de ne pas convoquer ces disciplines au même titre que la géographie, l’histoire ou les arts pour s’en remettre à des approximations, lieux communs, clichés, informations datées…(***)

Côté circuits, les 25 nouveaux au programme concurrencent directement l’offre des membres d’ATES(****) : voyage à la dur, logement chez l’habitant, préparation de repas avec la population locale…
On vous le dit, « le monde vous attend » ! Vos hôtes sont des amis, pas d’affreux marchands. Vraiment ? Amis ou figurants pour satisfaire le besoin d’affection et de divertissement du touriste de passage ? Voici à nouveau la fameuse euphémisation du rapport marchand(*****) et on peut légitimement se demander de quelle authenticité procède ce « créer des liens avec le monde » qui constitue la nouvelle bannière de Nouvelles Frontières.

D’autant que contrairement à ATES, NF ne systématise pas l’équité et la solidarité dans sa nouvelle offre, ce qui lui permet de proposer des tarifs plus agressifs(******). Çà peut sembler cruel, mais les grands tour-opérateurs risquent bien d’empocher les dividendes du battage médiatique sur le tourisme responsable.


(*) cf. mon bilan d’un circuit avec Marmara : Thrace orientale.
(**) Le site Nouvelles frontières, Nouvelles rencontres. La version longue du spot TV.
(***) cf. la question de l’âge du mariage au Maghreb : Célibat à l’algérienne.
(****) ATES : Association pour le Tourisme Equitable et Solidaire, regroupe au sein d’une même structure 23 acteurs engagés dans le tourisme équitable dont Taddart, Arvel, Croq’Nature, TDS Voyage
(*****) cf. : mes billets Tourisme-marocain.com et Tourisme solidaire : l’authentique malentendu.
(******) Premier prix, 8 jours au Maroc, 780€.