Jan 082009
 
Fidèle à sa vocation d’enseigner «le savoir en train de se faire», le Collège de France inaugurait hier la Chaire internationale Savoirs contre pauvreté animée par Esther Duflo(*).
Passée par l’ENS, Esther Duflo, qui signe là son retour en France, est une jeune économiste atypique(**). Non seulement parce qu’elle enseigne depuis déjà dix ans au Massachusetts Institute of Technology où elle a acquis une renommée internationale(***) mais parce que son discours est accessible. Point de jargon économique superflu dans sa prose, mais du raisonnement, du bon sens et un maître-mot : le terrain. Dans sa leçon inaugurale retransmise en direct ce soir, si elle se refuse à baisser les bras face à la pauvreté elle ne se contente pas pour autant de solutions radicales ou miracle plus ou moins théoriques. Pour sortir de la stérilité du discours public sur le développement (« il suffit de plus de moyens« , « il faut laisser faire le marché« …) elle milite pour une approche pragmatique et empirique des programmes publics d’aide au développement. Elle souhaite favoriser non seulement l’expérimentation mais son corollaire indispensable, l’évaluation d’impact. Illustrant son propos d’exemples concrets (l’utilisation d’engrais, le déploiement des moustiquaires) elle montre que non seulement plusieurs solutions s’offrent pour un même objectif (resp. améliorer la productivité agricole, combattre la malaria), mais qu’il y a un intérêt à comparer leurs résultats sur des groupes de population-test.

Un exemple. Contrairement à un discours répandu qui tient la gratuité intégrale de l’aide comme défavorable à son efficacité (le pauvre qui payerait son écot prouverait ainsi son engagement), l’expérience a montré que si l’on remettait gratuitement des moustiquaires aux futures mamans kenyanes leur utilisation était bien plus répandue que si on leur proposait de l’acheter contre une participation même minime.
Esther Duflo entend bien dans les prochains cours de la chaire Savoirs contre pauvreté prouver que sa démarche – qui rappelle l’expérimentation médicale – est non seulement applicable mais vertueuse.

Je vois un intérêt indirect à la démarche d’Esther Duflo. Celui de sortir « le pauvre » du répertoire de la marginalité ou de l’exotisme pour lui donner la dimension d’un acteur économique à part entière, un visage humain doté d’une personnalité propre. Du reste l’évaluation des politiques publiques gagnerait à être pratiquée au Nord également. Combien de mesures adoptées, portées par la lumineuse idée d’un politique à la mode, risqueraient d’être invalidées par la réalité !


(*) Esther Duflo, Chaire internationale-Savoirs contre pauvreté. Leçon inaugurale : Expérience, Science et Lutte contre la Pauvreté. 8 janvier 2009, 18 h. Collège de France.
Il sera possible de visionner cette leçon inaugurale en différé le lundi 12 janvier.
Dans le cadre d’un partenariat entre le Collège de France et l’Agence Universitaire de la Francophonie (www.auf.org), un débat portant sur la leçon inaugurale sera organisé, le 13 janvier, par visioconférence avec les campus numériques francophones d’Antananarivo, Bamako, Rabat Sofia et Yaoundé.
(**) Esther Duflo : des neurones contre la misère, Catherine Simon, Le Monde, 05.01.09.
(***) Elle a fondé avec des amis le Laboratoire d’action contre la pauvreté Abdul Latif Jameel (J-PAL) du MIT.