Déc 022010
 

Angle rue des Pyrénées / rue de Belleville : kiosque à jounaux Lien social, un magazine destiné aux travailleurs sociaux, vient de publier un dossier sur la lutte contre l’illettrisme(*), plus particulièrement chez les jeunes. Etre illettré, c’est ne pas disposer, après avoir été pourtant scolarisé, des compétences de base (lecture, écriture, calcul) suffisantes pour faire face de manière autonome à des situations courantes de la vie quotidienne : écrire une liste de courses, lire une notice de médicament ou une consigne de sécurité, etc. L’illettrisme concerne 4,5 % des jeunes âgés de 18 à 25 ans ayant été scolarisés en France, avec une plus forte proportion dans le nord du pays.

“Par quel tour de passe-passe, l’éducation nationale ne repère-t-elle pas avant les 35 000 élèves qui rentrent chaque année en 6ème sans posséder les connaissances de base ?” s’interroge le magazine. Des hypothèses sont avancées : dyslexie non repérée, handicap, comportement de l’élève, surcharge des classes… pour justifier l’injustifiable.

Car, si on loupe la marche du primaire, le rattrapage devient quasi-impossible tant l’écart se creuse très vite avec ses camarades de classe. Comment peut-on ensuite suivre une scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans si ces savoirs ne sont pas acquis ?  Dans quelle souffrance longue entre alors le jeune en situation d’illettrisme ? Sous le titre, “Redonner confiance aux jeunes”, un article de deux pages est consacré à l’association Savoirs pour réussir où je suis tuteur quelques heures par mois. L’auteur montre bien, qu’avant de reprendre les bases de la lecture et de l’écriture, pour que ressurgissent des savoirs et des mécanismes d’apprentissage enfouis, il faut retrouver la part d’estime de soi égratignée par cet échec(**).

Surtout, contrairement à ce qu’il en était il y a seulement un demi-siècle en France, que ce soit pour la vie quotidienne ou le travail, toute la vie en société repose désormais sur la connaissance implicite de la lecture et de l’écriture.

Détection lors des JAPD, création d’une Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, prise en charge très partielle par des structures spécialisées, sensibilisation des Pôles Emploi, jusqu’à présent les pouvoirs publics sont loin d’avoir résolu la question, et elle revient, ce n’est certainement pas un hasard en cette période très libérale, par le monde du travail. Ce n’est pas le déni d’accès à la citoyenneté, la marginalisation ou les difficultés multiples que rencontrent les personnes en situation d’illettrisme, mais celles des entreprises qui feront peut-être bouger les choses. Le Conseil d’orientation pour l’emploi, dans un rapport rendu public ce 30 novembre, dresse la mesure de l’échec : “les actions actuellement menées ne parviennent pas à réduire le nombre de personnes illettrées en France. […] Car sur les 3,1 millions de personnes illettrées en France, 57 %, soit près de 1,8 million, sont en emploi, comme le montrent les seules statistiques disponibles, qui datent de 2004. C’est d’une certaine façon positif : illettré ne rime pas, loin s’en faut, avec incompétence.” (***)

La lutte contre l’illettrisme deviendra-t-elle grande cause nationale comme le préconise le COE ? Si oui, espérons qu’elle intègre non seulement la préoccupation des adultes en situation d’illettrisme mais aussi le volet prévention, en augmentant les moyens dédiés aux apprentissages de base de l’Education nationale pour qu’elle cesse de produire de l’exclusion.


(*) Lien social n°995, 25 novembre 2010, pp. 10-17.

(**) Voir ma page Savoirs pour réussir.

(***) Le COE veut lutter contre l’illettrisme dans l’entreprise, Les Echos, 1/12/2010. Le rapport intégral est consultable sur le site du COE.