Juin 302009
 
baoding, Vieux quartier musulman (c) Yves Traynard 2009Alors que mes jours en Chine sont comptés, je suis retourné dans ce carré du vieux Baoding ultime témoignage encore vibrant de son glorieux passé pré-Mao. Depuis plusieurs mois quelque chose se tramait dans ces venelles étroites, sales, insalubres et pourtant attachantes, tranquilles, ombragées, à un jet de brique du tumultueux centre-ville. Une telle incongruité ne pouvait défier très longtemps la modernité chinoise triomphante. En quelques semaines, le quartier a été rasé aux trois quarts. Les rares maisons encore debout sont marquées du caractère rouge infamant (拆 chāi) qui signifie démolir.

Il reste encore un carré d’habitations massées autour de la mosquée qui date de 1616. Dans son arrière-cour, on prépare le traditionnel pain-beignet. Chaque fois que je passe par-là, on s’empresse de m’en offrir deux, tout chauds. Plus loin, je sympathise avec des riverains discutant à l’ombre des vieux murs de leur maison. Des retraités, quatre femmes, deux hommes. On me fait asseoir sur une chape en ciment en prenant soin de me glisser un petit coussin. Une brise légère rafraîchit l’air sec chauffé à blanc. La ruelle est juste assez large pour que se croisent deux vélos. Tandis qu’à deux pas la masse, à grands coups sonores, poursuit sa besogne, le temps semble suspendu. Je décline mon identité avec des mots qui n’ont guère variés depuis cinq mois, faute de progrès en chinois. Lǎoshī (professeur), fǎguórén (français), hebei dàxué (université de la province du Hebei). Chacun répète, commente. Je remarque la treille au-dessus de ma tête. Je m’enquiers. Le raisin aux grains bien formés donnera en août. Mais en août, que restera-t-il de cette vigne, et où seront ces gens si aimables ? Rien ne filtre. Eux semblent si sereins alors que moi j’ai l’impression de vivre les derniers instants d’un monde. Aujourd’hui, je n’ai pas le courage de gâcher ces instants de paisible amitié par des questions maladroites.

Baoding,  Vieux quartier musulman (c) Yves Traynard 2009

Je me fais une raison. Ce « village » qui m’inspire la nostalgie depuis mon arrivée en février n’est guère ragoûtant. L’hygiène y est très sommaire. Il y a longtemps que les demeures aristocratiques ont été transformées en logis pour prolétaires. La brique rouge plus récente a envahi les rares vestiges de briques grises. Un porche ici, un toit là-bas, des meules au sol ; on serait bien en peine d’y retrouver les riches palais de Pingyao. Seules les deux mosquées historiques survivront sans doute à la reconstruction et ce réduit musulman aura été le dernier quartier à subir la modernisation du centre-ville. En septembre, Baoding aura définitivement tourné une page de son histoire urbaine, sans fleurs ni couronnes. Pour me consoler de tant d’indifférence, je mitraille ce qui est encore debout.

L’emplacement du quartier.

Afficher Vestiges de l’ancienne Baoding sur une carte plus grande

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