Déc 102008
 
Le 20e arrondissement, et Belleville plus particulièrement, a fait la peau aux théâtres et cinémas qui jadis faisaient sa renommée. Affaiblies comme en banlieue par les complexes multisalles, malmenées par la K7 vidéo, le DVD et l’augmentation du prix d’entrée, les salles obscures de mon quartier ont aussi souffert de l’arrivée d’un public moins franco-français. S’ils ont fait la fortune de vidéo-clubs spécialisés les migrants asiatiques, arabes et d’Afrique noire ont scellé le destin déjà bien compromis des cinémas du quartier.
A contre-courant, l’association Belleville en Vue(s) propose de renouer avec le cinéma par de multiples initiatives en direction de publics variés, du scolaire au bobo en passant par les migrants. L’idée est de redonner goût à un cinéma de proximité un tant soit peu exigeant en attendant l’ouverture d’une hypothétique salle(*).
Ce soir, dans son «studio» situé au coeur de l’îlot Piat-Envierges BeV proposait un panorama du cinéma africain. Enfin principalement de l’Afrique noire que l’on connaît bien, c’est à dire l’ouest-africain francophone ; et c’est déjà beaucoup.

Inhambane, cinéma (c) Yves Traynard 2006

Les 12 extraits de la programmation délimitaient quelques repères de ce cinéma Noir entre chronologie,  thématiques et formes. 
A l’origine de ce cinéma, le documentaire ou plutôt le docu-fiction avec acteurs non professionnels qui doit beaucoup à Jean Rouch. Le film tourné à Treichville avec des interprètes africains abordait l’exode rural (Moi, un Noir, Jean Rouch, France, 1958). Celui qui est tenu pour le premier film d’un réalisateur subsaharien (Afrique sur SeinePaulin Soumanou Vieyra et Mamadou Sarr, Sénégal-France, 1955), se penche sur un exode plus lointain, le Paris des étudiants africains. Vision positive et exaltée d’un Paris capitale de l’Afrique, voire du monde.  En 1975 c’est toujours depuis l’ancienne colonie que perce l’affirmation d’une identité africaine avec les Princes noirs (Les Princes noirs de Saint-Germain des PrésBen Diogaye Bèye, Sénégal, 1975). Le thème de l’immigration dans toutes ses dimensions accapare une fraction croissante du cinéma africain. On le trouve traité parfois sous forme burlesque (Le clandestin, Zeka (José)  Laplaine, Zaïre, 1996) voire surréaliste (Touki-Bouki, Djibril Diop Mambéty, Sénégal, 1973). 
La figure du griot accompagne le retour de la caméra au pays, en portant à l’écran des thèmes liés à l’identité et à l’histoire africaine de tradition essentiellement orale. De cette veine on retiendra le cinéma d’Ousmane Sembène dont les films questionnent le social, la tradition, la condition de la femme, la colonisation, le racisme (La noire de…Ousmane Sembène, Sénégal, 1966) et même l’Etat. De la même veine était présentée la chronique d’un griot pris dans une résistance ouvrière (Jom, Ababacar Samb Makharam, Sénégal, 1981). Le recours à la tradition et au conte permet d’aborder l’histoire tout en poursuivant le passage à la fiction pour traiter de manière ludique des thèmes contemporains. Dans la Genèse (La Genèse, Cheick Oumar Sissoko, Mali, 1999) le réalisateur propose une transposition de la confrontation des clans du récit biblique dans une débauche de costumes « ethniques ». Dans le désormais classique Yeelen, (YeelenSouleiman Cissé, Mali, 1987) on assiste au parcours initiatique d’un fils en conflit avec son père dans une mise en scène proche de la science-fiction américaine où se mêlent retour aux origines, magie, irrationnel. La transmission du savoir entre un vieux et un enfant, thème de Rabi (Rabi, Gaston Kaboré, Burkina Faso, 1993) met à l’honneur les thèmes de la jeunesse du continent et du monde rural caractérisé par la brousse. Avec Yaaba (YaabaIdrissa Ouedraogo, Burkina-Faso, 1989) Idrissa Ouedraogo indique que « l’Afrique, ce n’est pas seulement celle des masques, des danses, des cases. C’est aussi celle de l’amitié, de l’amour, de la réflexion sur le monde… » Entre tradition et modernité, le cinéma africain s’immisce de plus en plus dans les questions mondiales et leurs conséquences locales que ce soit le rôle du FMI et de la Banque mondiale, (BamakoAbderrahmane Sissako, France-USA-Mali, 2006) ou le 11 septembre 2001 (11’09″01Idrissa Ouedraogo, Burkina-Faso). Un cinéma où se mêlent les destins collectifs et individuels.
C’est sur ce dernier court métrage que se sont achevées les deux heures de d
écouverte du cinéma africain proposées par BeV. Un exercice ô combien frustrant et cruel puisqu’à chaque fois que nous entrions dans l’action il fallait quitter la séance pour un autre extrait. Mais exercice nécessaire qui – comme la dégustation de bons vins – permet seule d’apprécier les nuances.
On lira des choses bien plus pertinentes que mes notes sur ce jeune cinéma africain dans un article des Clionautes(**). Vincent Marie y montre la difficulté non seulement matérielle (l’absence d’une véritable politique cinématographique africaine pèse sur l’indépendance des auteurs) mais aussi idéologique. Il développe le point de vue que l’Afrique au cinéma, filmé par l’Occident, est un regard très stéréotypé contre lequel les cinéastes africains doivent aussi se battre.

« Tarzaneries » et safaris, cimetières des éléphants, fleuves indomptables, tribus farouches, mines oubliées, hommes léopards, sorciers, potentats grotesques, boys serviles… tels sont les clichés de l’Afrique du septième art qui alimentent encore aujourd’hui le mythe d’un continent primitif et pittoresque où la faune, la flore et les indigènes se confondent presque indirectement pour servir de faire valoir aux tribulations d’une poignée de blancs perdus dans un monde hostile. […] des films tel que Out Of Africa ou Itinéraire d’un enfant gâté témoignent, à l’évidence, de la prégnance de ces visons réductrices où seuls les blancs ont le statut de héros ou d’humains à part entière. Le spectateur assis confortablement dans son fauteuil s’y retrouve et voyage par procuration sur un continent exotique.

Pour revenir à mon sujet du voyage, on comprend aisément que cette perception cinématographique de l’Afrique n’est pas sans conséquence sur la façon dont se pratique et s’entend le tourisme même alternatif. Pour se préparer au voyage on ira plus volontiers voir Blood Diamond que Faro, La Reine de Eaux. A l’heure du très haut débit, il est dommage qu’il n’existe pas de site VOD (video à la demande) proposant pour chaque pays un échantillon représentatif du cinéma local à destination (entre autres) des touristes en partance.

(*) Belleville En Vue(s), 10/12 allée du Père Julien Dhuit – 75020 Paris – M° Jourdain ou Pyrénées.