Mar 072008
 
Paris, Centre Georges Pompidou (c) Yves Traynard 2008C’est quoi le réel ? se demandait libération mercredi en annonçant la 30e édition du festival de documentaire qui se tient à Beaubourg(*) Bien des choses sans doute, mais pour ce qui concerne cet évènement la matière de ceux qui documentent le monde. Documenter oui, mais pas n’importe comment. Le festival se veut exigeant. Il tourne résolument le dos aux formats TV – leçons données à des spectateurs plus qu’incitation à regarder – pour promouvoir ceux qui, avec mille doutes, expérimentent et se posent des questions sur l’art et la manière d’exposer le monde.
Les raisons de mon intérêt soutenu pour ce festival sont multiples. Le documentaire dans ses fonctions, son histoire entretient des liens très étroits et complexes avec le tourisme, avec renvois d’ascenseur. Chance infinie à l’heure où j’entame la rédaction de mon manuscrit le festival offre cette année une introspection très complète du tourisme. En se démarquant du docu-touristique promotionnel, le festival est un laboratoire de choix de ce que pourrait être un tourisme plus proche des réalités du monde. Pour ne rien gâter l’Asie du Sud-Est d’où je reviens figure en bonne place dans la programmation. Autant dire que je me suis précipité sur l’abonnement et qu’au rythme quotidien de 4 séances (composées souvent de plusieurs courts ou moyens métrages), l’écran noir sera mon ciel bleu durant cette décade.
Cette première journée fut emblématique.

Stéphane Breton ouvrait le thème des figures du tourisme avec deux documentaires réalisés à deux ans d’intervalle dans le même village isolé de Nouvelle-Guinée. Interrogation d’un ethnologue sur son métier. Qui suis-je pour eux ? Comment se faire accepter ? Peut-on faire de l’ethnologie sans rien donner ? Quels sont les termes de l’échange ? Si le village se dirige vers une mort annoncée (politique, argent, environnement…), l’ethnologue doit-il pour autant se faire prophète ?
Asie toujours, mais celle des grandes villes, avec trois courts métrages assez déroutants par leur forme d’Amir Muhammad un des invités de la sélection Asie du Sud-Est. Le cinéaste malaisien, fait dans le document-action. Avec The Big Durian, long-métrage plus classique, on est en présence d’une sorte de fresque politique, fouillée, rare, ancrée dans les thèmes sensibles qui lui sont chers : l’identité nationale, les émeutes raciales, les droits de l’homme.

Ouverture oblige, le cinéma et le tourisme étaient invités à se pencher sur leur genèse. Les premières vues animées des Frères Lumière (1896) élaborent un système d’image pour dire – sans parole – ce que l’on voit et qui fera date. Héritère de la chambre noire la caméra lèche les rives du Nil ou les façades des palais vénitiens, s’arrête sur une touriste nourissant des pigeons. Les autochtones qui n’existent qu’en ombres furtives censées donner les proportions des édifices offre plus surement les disproportions du regard. La carte postale n’est pas loin. Les quelques minutes du village de Namo, panorama pris d’une chaise à porteur, contiennent les ingrédients de nos excursions en autocar ; la ronde des Bourricots sous les palmiers, sent le piège à touristes. Avec Cynghalais : danse des couteux, on atteint la scène de genre et le folklore. Le Nord, maître de la technologie de l’image contemple déjà le Sud. Regard hautain, esthète et ethnologique.
Toujours en muet se profilent les conférenciers et leur sélectivité aguicheuse. Les commentaires écrits de Burton Holmes, créateur du terme travelogue, qui s’en va filmer dès les années 20 au pays des chasseurs de têtes ont l’éloquence significative. « Nous rencontrons d’intéressants Igorots », « Voyager ainsi est comme parcourir une rue qui serait une galerie d’art animée… », « Oncle Sam a mis un terme à la chasse aux tête », « tout le monde n’est tout à fait aussi joli » : plaisirs d’esthète, érotisme et mentalité coloniale, habitent le cabinet de curiosités. Le Routard serait-il un plagiat ? Le poème qui accompagne A scenic classic du même Burton Holmes déclame la Nature et l’Art conspirent heureusement pour créer un pittoresque panorama conforme à nos désirs. Le Bibendum au guide vert est arrivé.
Après un burlesque inclassable qui vaut surtout pour son esthétisme après-guerre et sa mode OVNI, le festival présentait un morceau de choix avec un documentaire sur les maîtres du travelogue français. Les Mahuzier ont alimenté avec leurs films Connaissance du monde l’imaginaire de plusieurs générations dont la mienne. Le réalisateur a fait le choix de l’émotion proposant une fresque touchante de ces « explorateurs-conférenciers » qui, à partir de 1952, vont porter leurs images mêlant peuples et animaux d’Afrique, d’Amazonie, et d’ailleurs… jusqu’aux plus petites villes de France. La formule prend : le spectateur s’identifie à cette famille peu ordinaire de neuf enfants, à ce commentateur à la poésie populaire, un brin rimailleuse qui a érigé la proximité comme mode de distribution. A la fin des conférences, la famille dédicace livres et surtout les programmes, font involontairement la promotion du camping-caravaning et répondent patiemment à toutes les questions : « le japonais est-il plus facile que le chinois ? », « sont-ils accueillants ? »… Le documentaire qu’on pourrait qualifier d’un peu complaisant s’attache à restituer cette famille dans le contexte français de leur succès. Il s’intéresse peu au discours tenu qui mériterait d’autres développements. La colonisation qu’on entrevoit dans la distribution de chocolats et de médicaments aux figurants indigènes… Tout juste est-il évoqué la tentative contestée d’aborder d’un ton neutre l’URSS et l’Albanie en pleine guerre froide.


(*) Au-delà du réel. Festival. A Beaubourg, un panorama du documentaire protéiforme et audacieux. Libération, mercredi 5 mars 2008.
Cinéma du Réel, festival international de films documentaires
Mes feuillets sur le festival 2007, 2006