Juil 192007
 

Enfin un peu d’humour dans cette chronique sur le voyage. Je me prépare à affronter le retour en particulier les questions rituelles «Alors raconte ?» avec cette angoisse : comment ne pas réduire la richesse de ce que j’ai entrevu, comment faire comprendre que je n’étais pas en vacances et donc pas tenu à l’exhaustivité des sites, et que les conditions anecdotiques de voyage ne méritent pas forcément qu’on s’y attarde. Comment vais-je contribuer à l’image du pays ou au contraire la modifier voire la « ternir » ? Ma description sera-t-elle porteuse de connaissance ? Suis-je qualifié pour commenter ce que j’ai vu ? Quelle responsabilité tout à coup !

Pour m’y préparer et me rassurer je fais le tour des questions qui me seront posées. Et comme je ne suis pas le seul dans cette inconfortable position du retour je livre mes conseils pratiques à ceux qui sont restés entre bungalow et piscine et se souciaient comme d’une guigne du pays d’accueil.

«C’est comment Bali ?» Rassurez-vous tout de suite. La question n’appelle pas à une description exhaustive du pays contrairement à son sens littéral. La question est intéressée. Habilement votre interlocuteur se demande si la destination lui conviendrait. Il est de bon ton de commencer par : «Oh, je ne sais pas si ça te plairait, c’est plein de touristes», ou bien «avec 20 € par jour tu vis comme un prince» ou encore, version très machiste, «trop chaudes les meufs là-bas !». Bien noter que ce n’est pas votre point de vue qui est important mais celui de votre interlocuteur. Sachez faire plaisir, personnalisez vos réponses !
La même question au passé «C’était comment Bali ?» n’invite pas plus au commentaire historique éclairé. D’ailleurs on ne vous précise jamais de période. Inutile donc de vous lancer dans un résumé des deux derniers millénaires du pays. Vous vous embrouilleriez dans les dynasties et les dates et de toute façon ce n’est pas du tout ce que l’on vous demande. Il faut traduire «c’était comment ton voyage à Bali ?». On exige un jugement d’ensemble. «Le guide était génial» «Hôtel super» ou «Un cauchemar, il a plu tout le temps…» sont des réponses adéquates. Mais attention le «ah bon, raconte !» n’est jamais loin. Pas de panique. L’attente porte sur les conditions de voyage. Dans l’avion qui vous ramène en France, préparez quelques anecdotes. Là encore ne décevez pas, brodez, inventez si nécessaire. En manque d’inspiration ? (Re-)lisez les encadrés de vos guides de voyage ou notez les histoires que vous rapportent vos voisins de cabine.

Autre conseil. Il est exclu de répondre «sur Degriftour» ou «c’est Ginette au CE qui m’en a parlé» à la question «Comment t’a trouvé Bali ?». Pas de contre-sens. On veut savoir
si le pays vous a plu. Vous ne vous en tirerez pas par un «oui», ou un «bof, moyen». Cette fois on attend de vous des émotions donc de l’emphase. Ex : «j’ai A DO RÉ !» en détachant bien les syllabes est du meilleur effet. «Trop cool !» ravira un public plus jeune. Le climat, l’ambiance, les voisins, le repos, la nourriture, les flirts… ayez confiance, ça va revenir ! En général c’est ce qu’on retient. Ça tombe bien non ?
Solution extrême. Si vraiment vous avez à faire à un importun glissez sur un ton suffisant un culpabilisant «c’est exactement ce que je décris sur mon blog» même si vous n’avez publié que trois photos de vous en bermuda à l’arrivée à Denpasar sous-titrées d’un «coucou bien arrivé !» pour toute légende.

Confrères voyageurs, vous voilà j’espère rassurés. Il est très rare que l’on vous demande comment est la situation politique, économique, sociale du pays dont vous revenez. Votre interlocuteur a généralement oublié jusqu’au nom de votre destination(*), voire confondu avec une autre(**). Pour la simple raison qu’on sait très bien qu’on ne voyage pas pour ça. Il n’y a bien que mon père qui n’a jamais quitté la France pour s’inquiéter de ce que l’on cultive et à quoi ressemble l’habitat là-bas. Un fils de paysan, qui a connu la guerre, sait bien que l’on ne vit pas de plages sublimes, de danses, de rituels, de costumes, et de colliers-bar.

Quant à moi je me demande si on va encore me demander des nouvelles de mon voyage après ce que j’ai écrit. A jouer les donneurs de leçon je risque fort d’être le premier puni !


(*) Notez comment les plus prudents font un large usage du «là-bas» générique. Par exemple «C’était comment là-bas ?». Soyez sympa, restez dans le flou. Évitez les noms de lieux imprononçables, vous ennuierez tout le monde.
(**) Les Antilles pour la Réunion pourtant îles françaises de deux continents différents est un classique. Ce n’est pas mes amis d’Outre-mer qui me contrediront !