Juil 052007
 

Lovina, La plage, le soir (c) Yves Traynard 2007Ce mois de juillet marque le dixième anniversaire de la crise asiatique. A cette occasion on se pose beaucoup de questions ici. Tous les enseignements en ont-ils été tirés ? Pourrait-elle se reproduire ? Revenons sur cette crise majeure qui n’a fait la une de nos médias que le temps où elle menaçait par contagion notre économie alors que ses impacts sur la vie des Indonésiens entre autres ont été bien plus durables.
La crise économique dite crise asiatique a officiellement débuté, le 2 juillet 1997, avec la décision des autorités thaïlandaises de laisser flotter le baht qui a entraîné dans sa chute la roupie indonésienne, le ringgit malais et le peso philippin. A l’automne, la crise s’est étendue à la Corée, Taïwan, Singapour et Hong Kong. La situation financière des banques et des entreprises locales, qui étaient fortement endettées à court terme en dollars et en yens, s’est détériorée rapidement. L’insolvabilité d’un grand nombre d’entre elles ainsi que la fuite des capitaux ont entraîné un collapsus du crédit et de l’activité économique entre la fin de l’année 1997 et le début de l’année 1998, empêchant les pays concernés d’exploiter les avantages de compétitivité procurés par la dépréciation de leur monnaie.
Au point bas de la crise, c’est-à-dire au cours du premier semestre de l’année 1998, la dépréciation de la monnaie par rapport au dollar a atteint près de 75 % en Indonésie et 35 % en Thaïlande, Malaisie, et Philippines. La chute des cours boursiers a été de l’ordre de 50 % en Corée, 45 % en Malaisie et en Indonésie, et 30 % en Thaïlande, aux Philippines, à Hong Kong et à Singapour. Le recul de l’activité a atteint 20 % en Indonésie, 15-20 % en Thaïlande, 10-15 % en Malaisie, en Corée et à Hong Kong, et 0-5 % aux Philippines
.(*).
Voilà pour les grandes lignes de l’effet domino financier puis économique sur lequel tout le monde s’accorde. Qu’en est-il des causes profondes de cette crise ?
Jusqu’en 97, l’Asie attirait la moitié des flux de capitaux étrangers vers les pays en développement grâce à des taux d’intéret attractifs. Dans le même temps les économies de la Thaïlande, de la Malaisie, de l’Indonésie, des Philippines, de Singapour et de la Corée du Sud connaissaient des taux de croissance de 8-12% de PNB, entre la fin des années 80 et le début des années 90. On parlait alors du «miracle économique » asiatique.
Que s’est-il donc passer depuis ? Les économistes sont loin d’être d’accord sur les causes profondes de cette crise et c’est pas moi qui les départagerais d’autant que plusieurs facteurs ont pu se conjuguer.
Certains ne veulent y voir qu’un soubresaut de la finance, sans réalité économique. Ils arguent de :
– la vitesse à laquelle la crise s’est propagée hors de tout indicateur économique défavorable,
– la perte de confiance des investisseurs échaudés par la crise du peso mexicain (94) et ses conséquences
– la politique monétaire protectionniste de la Thaïlande qui a dopé la spéculation jusqu’au krach
– l’incapacité de l’ASEAN à se protéger des spéculateurs
– le prompt rétablissement de certaines économies preuve que les fondamentaux étaient bons.
Certains au contraire mettent l’accent sur le coté artificiel du miracle économique (Paul Krugman, dès 1994) dénonçant l’absence de gain en facteurs de productivité seuls à même de conduire à une croissance durable.
D’autres enfin mettent l’accent sur des facteurs externes :
– la hausse des taux d’intérêt américains à partir de 90 rendant moins attractive l’Asie du Sud-Est auprès des investisseurs
– l’appréciation du dollar et donc du baht et de la roupie indonésienne qui lui étaient liées rendant moins compétitives les exportations
– la concurrence chinoise de plus en plus vive
– la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet 97 rappelant brutalement aux investisseurs les risques qui pèsent sur les économies asiatiques
– une manipulation en vue de déstabiliser l’économie sud-est asiatique dénoncée par les ministres des affaires étrangères de l’ASEAN. La Malaisie a même accusé George Soros de spéculation massive sur les monnaies.
Pour apprécier les conséquences de cette crise qui parait abstraite jusqu’ici il n’est qu’à lire l’étude sur la pauvreté publiée par l’Indonésie(**). Elle place le seuil de pauvreté à 18,5 usd de revenu par mois et par personne(***). Voici le décompte brut du nombre de pauvres (en Millions d’habitants) entre 1996 et 2007.
96 : 34 Mh
98 : 49 Mh.
00 : 38 Mh.
07 : 37 Mh.
On voit très nettement les conséquences de la crise asiatique avec une augmentation du nombre de pauvre de près de 50 % entre 96 et 98. Il faut imaginer également une baisse de niveau de vie sensible pour les classes à revenus plus élevés. On constate également qu’en 2007 on n’a pas retrouvé le niveau de pauvreté de 96. Au dela des chiffres se sont des vies qui se sont trouvées bouleversées.
La crise a eut quelques répercussions positives. Elle a assainit les marchés financiers, provoqué la chute de Suharto et permit l’émergence d’une démocratie en Indonésie ainsi que l’abolition des conglomérats d’État.
Au niveau régional l’ASEAN s’est dotée de mécanismes pour se prémunir contre ce risque.
Aujourd’hui c’est la surchauffe de l’économie chinoise qui inquiète. En mars, pour la première fois dans l’histoire, un hoquet de la bourse de Shangaï a eut un fort impact sur les marchés internationaux provoquant une chute de 7% des indices.
Comment parler de la finance en voyage auprès d’un public très mal formé ? Comment la rendre accessible sans être ennuyeuse ? Voilà un beau challenge pour le voyage au présent sur un thème qu’il ne peut ignorer tant il est structurant pour les pays émergents.


(*) Wikipedia. Article : Crise asiatique. Pour les causes voir la version anglaise plus documentée.
(**) Jakarta Post, 3/7/7, p.1
(***) Chaque pays défini son seuil en fonction du niveau de vie (en général sur la base d’un panier) de manière à rendre les chiffres comparables d’une année à l’autre. Selon la définition de la pauvreté de la Banque mondiale (seuil de 2 usd par jour et par personne) c’est la moitié des Indonésiens qui sont considérés comme pauvres.
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PS. : il manque à cet article un vaste chapitre sur la manière dont les économies se sont remises de la crise (avec le rôle controversé du FMI).