Mar 242007
 

Dans le sens de ma réflexion sur le voyage contemporain, je me suis penché sur la collection l’Autre guide lancée chez Liana Levi dès 2002. « Lorsque vous voyagez, vous vous posez mille questions sur les habitants du lieu, sur leur façon de vivre, sur leurs règles de conduite, sur leurs particularités ? L’Autre guide est alors pour vous ! Il ne vous fera découvrir ni les villes, ni les monuments, ni les oeuvres d’art… juste les hommes et les femmes, ces grands inconnus de vos voyages. » Mis en appétit par la 4ème de couverture, j’ai lu attentivement « l’Inde des Indiens »(*) le dernier né de la collection.
Le premier chapitre (23 pages) est consacré aux femmes indiennes, révélant ce curieux prisme occidental où la question du genre est devenue déterminante. On y traite pèle-même du costume, des épices, des mariages arrangés, de la sur-représentation des garçons et longuement du sati (incinération de la veuve) sans citer grands chiffres ni donner la parole aux principales concernées. C’est dit d’emblée on ne saura rien des hommes, leurs métiers, leur quotidien, leurs difficultés. Le deuxième chapitre s’intéresse aux religions et castes (en 21 p.), avec longs récits mythologiques. Comment aujourd’hui les castes se répartissent le pouvoir, la politique, l’économique, comment s’exerce la cohabitation, comment une démocratie est possible dans l’inégalité, comment est pensée la religion des autres… pas un mot. Puis vient l’économie en 15 p. dont deux consacrées aux campagnes pour lister les productions. Côté périphérie des villes, pas une ligne sur les slums et la spéculation immobilière. Et puis surprise, 20 p. d’histoire sans aucune originalité suivies heureusement de 17 pages de géopolitique bienvenues mais éloignées du thème, de 21 pages sur l’architecture (!), et enfin 19 p. consacrées aux arts avec un fort penchant pour les arts « nobles » et visibles de France et très peu sur ce qui est réellement populaire.
A l’issue on ne sait pas à quoi ressemble un foyer indien, son toit, comment on vit au jour le jour, comment fonctionne un village, quels sont les revenus, à qui appartient la terre, qui détient le pouvoir, qu’est-ce que la sociabilité, comment un Indien voit le reste du monde, à quoi ressemble les revenus et le système financier, la santé, qu’est-ce qui fait le débat politique, qui le suit, quelle place pour la société civile, les ONG indiennes, les aspirations des plus jeunes, le travail des enfants, la sociabilité…
Dommage, finalement que cette collection imite trop à la lettre sans en actualiser l’esprit la défunte et lumineuse collection Petite Planète(**). Certes à la taille du pays, la tâche est ardue. Mais je suis convaincu que les chapitres histoire, arts, religion et architecture n’ont guère d’intérêt par rapport à des guides classiques dont l’Inde des Indiens est le complément et non le substitut. L’espace gagné pourrait laisser plus d’air à la socio-économie et à la parole indienne. Il reste donc de la place pour un vrai guide complémentaire qui aiderait à voyager au présent. D’autant que pour un guide, cette collection ne fait aucun lien pratique avec ce qu’un voyageur peut toucher du doigt sur place.


(*) L’Inde des Indiens, Catherine Clément, André Lewin, Liana Levi, Coll. L’autre guide, novembre 2006.
Autres titres de la collection : • Catherine Clément & André Lewin, L’Inde des IndiensLa Grèce des Grecs, Françoise Arvanitis La Chine des Chinois, Catherine BourzatL’Espagne des Espagnols, Jordi BonellsL’Italie des Italiens, Marcelle PadovaniLa Bretagne des Bretons, Pierre DuclosLe Japon des Japonais, Philippe Pons & Pierre-François SouyriLe Maroc des Marocains, Marion Scali
(**) Seuil, années 50-80.